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quelques traits de leur caractère, qui convenaient aux personnages de Psyché. Sans doute y a-t-il du Boileau, du Racine, du Molière et du Chapelle dans les interlocuteurs qu’il imagine, et du La Fontaine dans chacun d’eux : du La Fontaine, surtout dans Polyphile, et dans Acante aussi. Mais nous n’avons point ici des portraits Tant pis !… Afin de nous consoler, disons-nous que les portraits, si c’en étaient, ne seraient pas d’une ressemblance criante, lorsque les commentateurs reconnaissent, dans le seul Gélaste, Boileau, Molière ou Chapelle ; dans le seul Ariste, Racine ou Boileau, comme dans le seul Acante ; et lorsque, dans Gélaste, Faguet ne reconnaît, au bout du compte, personne. Puis, M. Michaut ne nous invite pas à nous consoler : il cherche, tout bonnement, la vérité ; dès qu’il a conscience de la posséder, il nous l’impose. Il ne va pas par quatre chemins. Sa critique ne fait pas la renchérie. Elle fait de bonne besogne.


Avec tout cela, et après tant de livres savans consacrés à La Fontaine, après M. Michaut, M. Roche, après un essai joli de M. Edmond Pilon, après Faguet, donc bien après Walckenaër, après la remarquable notice de Paul Mesnard et après les admirables notes et notices de M. Henri Régnier dans l’édition des Grands écrivains de la France, La Fontaine est bien mystérieux encore. Mystérieux, cet écrivain si clair ? Si clair en chacune de ses phrases, oui. Si habile à choisir exactement ses mots, à dire ce qu’il entend et à ne pas dire davantage ? A ne pas dire davantage ; et, quelquefois, à dire moins. Que de fois ne soupçonne-t-on pas qu’il entend plus qu’il ne dit, et ne vous offre-t-il pas la tentation d’aller, avec lui qui vous accompagne en secret, au-delà de ce qu’il a dit ! En outre, la diversité de sa pensée nous amuse et, volontiers, nous égare. Dans la campagne, par les beaux jours et quand l’air est parfaitement pur, tous les détails du paysage que nous regardons nous sont bien visibles et, jusqu’à l’horizon, nous voyons les bouquets d’arbres, les clochers, les routes et les chemins. Ce n’est pas la lumière, qui manque : plutôt y aurait-il trop de lumière éparpillée ou répandue partout également. C’est la quantité des objets visibles, et tous également visibles, et divers, qui dissémine nos regards et qui empêche que notre idée du paysage soit aussi nette que notre idée de chacun de ses élémens. Le paysage nous échappe, et La Fontaine. Il est difficile à tenir et, si l’on peut ainsi parler, difficile à réunir.

Les contemporains de La Fontaine semblent avoir éprouvé, à son égard, cette incertitude. Ils l’admirent et ils l’aiment : ils ne savent