Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant à La captivité de Saint Malc, M. Michaut n’est-il pas enchanté, lorsque le saint moine, à qui les Arabes ont donné pour compagne une « bergère » chaste et jolie, se plaint au ciel :


Tu m’as donné pour aide au fort de la tourmente
Une compagne sainte, il est vrai, mais charmante… ?


Puis une lionne mangera le barbare qui s’est mis en tête de marier Malc et la bergère. Alors Malc aura licence de retourner au cloître et de s’y enfermer avec sa pudeur définitive ; la bergère entrera au couvent. Mais avant cela et quand Malc en est à regretter le cloître et sa calme sagesse, on n’est pas sûr que La Fontaine, en lui prêtant ces paroles de nostalgie, ne songe pas du tout à l’Oratoire, où il a passé, dans sa jeunesse, un peu de temps :

Je vous ai fait récit quelquefois de ces heures
Qu’en des lieux séparés de tout profane abord
Je passais à louer l’arbitre de mon sort.
Alors, j’avais pitié des heureux de ce monde,
Maintenant j’ai perdu cette paix si profonde ;
Mon cœur est agité…

C’est en 1673 que parut, chez Claude Barbin, le Poème de la captivité de Saint Malc. La Fontaine avait cinquante-deux ans ; et il n’était pas au bout de son erreur, qui a duré presque jusqu’à la veille de sa mort. Beaucoup plus tard, à soixante-six ans, il écrivait à M. de Bonrepaus, lecteur du Roi : « Je continuerai encore quelques années de suivre Chloris, et Bacchus, et Apollon, et ce qui s’ensuit ; avec la modération requise, cela s’entend. » Bref, les souvenirs de l’Oratoire ne sont pas, dans sa pensée et dans son cœur, si actifs qu’ils le divertissent de sa vie amusante ; mais il les garde gentiment et il réserve pour plus tard leur activité.

Certes, M. Michaut n’a pas tort de préférer les Fables aux Contes et de blâmer les Contes. Il acquiesce au jugement de Brunetière qui déclarait les Contes « un mauvais livre, un livre à garder sous clef dans les bibliothèques. » C’est la vérité. Cependant, ni Brunetière ni M. Michaut ne disent qu’il ne faut pas avoir les Contes dans sa bibliothèque. J’avoue aussi que les Contes, si choquans pour tant d’immoralité, ont l’inconvénient de ressasser leur plaisanterie : les aventures de moinillons éperdus et de nonnes folâtres finissent par lasser la complaisance du lecteur et, par endroits, le font rougir de sa complaisance. Mais je ne sais si La Fontaine a rien écrit de plus ravissant que Joconde, au moins que la première partie de Joconde.