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sur la demande d’Effrena, la belle cantatrice, l’Ariane de Marcello tout à l’heure, devient l’Ariane de Monteverde.

« Soudain les âmes furent ravies par un pouvoir comparable à cet aigle qui en songe ravit Dante jusqu’à la région du feu. Elles brûlaient toutes ensemble dans l’éternelle vérité, entendaient la mélodie du monde passer à travers leur extase lumineuse…

« La voix se tut ; la cantatrice ne reparut point. L’air de Claudio Monteverde se composa dans le souvenir des auditeurs comme une ligne immuable. »

« — Y a-t-il un marbre grec qui soit arrivé à une perfection de style plus ingénue et plus sûre ? dit Daniele Glauro…

« — Voilà, dit Stelio, un artiste de notre race qui, par les moyens les plus simples, réussit à s’élever jusqu’au plus haut degré de cette beauté dont le Germain ne s’approcha que rarement dans sa confuse aspiration vers la patrie de Sophocle… »

Cependant, pour défendre « le Germain » en péril, un des auditeurs intervient et, rappelant Parsifal :

« — Connais-tu la lamentation du roi malade ? »

Mais Stelio, continuant d’évoquer l’une après l’autre, et de siècle en siècle, les gloires musicales de sa patrie :

« Toute la détresse d’Amfortas est déjà contenue dans un motet que je connais bien : Peccantem me quotidie ; mais avec quel essor lyrique, avec quelle simplicité puissante ! Toutes les forces de la tragédie s’y trouvent pour ainsi dire sublimées, comme les instincts d’une multitude dans une âme héroïque. Le langage de Palestrina, beaucoup plus ancien, me parait encore plus pur et plus viril. »

Bientôt, dans cet esprit et dans cette âme italienne, la lumière et la flamme latine vont achever de l’emporter :

« — Vous n’admirez pas l’œuvre de Wagner ? lui demanda Donatella Arvale…

« — L’œuvre de Wagner, répondit-il, est fondée sur l’esprit germanique, est d’essence purement septentrionale. Sa réforme n’est pas sans analogie avec celle que tenta Luther. Son drame n’est que la fleur suprême du génie d’une race, l’abrégé extraordinairement puissant des aspirations qui travaillèrent l’âme des symphonistes et des poètes nationaux, depuis Bach jusqu’à Beethoven, depuis Wieland jusqu’à Gœthe. Si vous