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Par ses relations, le comte Primoli est à même d’exercer une réelle influence dans les milieux aristocratiques romains ; et, par ses liens de famille, comme descendant des Bonaparte, il touche à la maison de Savoie. C’est un des familiers de la Reine mère. Je doute qu’il ait eu beaucoup à faire pour la convertir. Dès les premiers événemens de la guerre, les sentimens de Sa Majesté la reine Marguerite se sont manifestés avec une courageuse franchise. D’abord, son âme de Latine s’est révoltée contre les atrocités tudesques, contre les dévastations monstrueuses accomplies par les modernes Vandales. Ensuite, elle est trop dévouée à l’avenir de son pays, pour n’avoir pas compris aussitôt de quel côté l’intérêt vital de l’Italie devait la faire pencher. Et c’est pourquoi elle peut être mise au tout premier rang parmi les amis de la France.

Depuis son grand deuil, la reine Marguerite vit retirée dans son palais du Pincio, se défendant scrupuleusement de s’immiscer dans les choses de la politique. Pourtant, jusque-là, nulle n’avait été plus complètement reine, nulle n’avait porté le diadème avec une grâce plus souveraine, et, souvent aussi, avec plus de sagesse et de bon conseil. Mais, du fond de sa retraite, on peut dire qu’elle règne toujours, par son autorité morale et par la vénération qu’elle inspire universellement, jusque dans les milieux populaires. Et ainsi les sentimens bien connus de la Reine mère ont pu être d’un grand poids sur la partie réfractaire de l’opinion.

Comme beaucoup de nos compatriotes, j’ai eu l’honneur d’approcher d’Elle. On ne me demandera pas, j’espère, à propos de cette entrevue, des détails qui ne seraient guère que de pure curiosité. On sait quelle réserve et quelle discrétion président généralement à des entretiens de ce genre. Si j’y fais allusion c’est uniquement parce que la faveur accordée s’adressait beaucoup plus à mon pays qu’à moi-même. La noble simplicité de l’accueil est si parfaite qu’on oublie la Reine et qu’on ne voit plus que la femme qui a cruellement souffert. Son beau visage porte tous les stigmates de la douleur. On s’incline avec respect devant cette grande infortune, on se laisse aller au charme d’une conversation, que la Reine, par une sorte de coquetterie féminine, veut maintenir exclusivement sur le terrain littéraire. Comme le sont toutes les Italiennes de haut rang, elle se révèle non seulement très cultivée, mais érudite. Elle passe avec aisance