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fait le fond du pays. L’axe de cette bande de sable, sèche, ondulée, couverte de bois, passe à Passchendaele, puis à Zonnebeke, à Zillebeke, et devant Saint-Eloi. C’est elle qui, entre Zillebeke et Saint-Eloi, forme l’éminence de la colline 60, conquise par les Anglais le 17 avril 1915, et depuis lors perpétuellement disputée entre les deux adversaires.

La pointe Sud du front d’Ypres est encore au point exact où elle était au milieu de novembre 1914, à l’endroit où une route jusque-là unique envoie deux branches, l’une au Sud-Ouest sur Armentières, l’autre au Sud-Est sur Lille. Cette fourche s’appelle Saint-Eloi. Les Allemands y ont fait, à la fin de la bataille de 1914, une de leurs plus mémorables attaques. Les Français et les corps Anglais, qui tenaient côte à côte, virent s’avancer à travers les couverts une masse énorme, quatre divisions marchant en carré, deux accolées en première ligne, deux en seconde ligne, plus de soixante mille hommes. Cette masse vint s’engouffrer dans cet angle rentrant que formaient nos lignes à Saint-Eloi. Elles recevaient de front le feu du secteur Sud d’Ypres, et dans le flanc gauche le feu de la forêt de Ploegsteert. Elles furent écrasées sur place. Les lignes marquent encore ce même angle droit. Au sommet, devant Saint-Eloi, les Allemands ont fait exploser au mois de mars 1916 cinq mines, ouvrant d’énormes cratères dont les deux adversaires se sont disputé la possession. Sur la face Nord de l’angle, les positions ont oscillé autour de la colline 60. Sur la face Ouest, elles sont restées fixées à la lisière de la forêt de Ploegsteert.

Au Sud de cette forêt nous atteignons la Lys, que le front franchit à une lieue environ au-dessous d’Armentières, vers Frelinghien, un peu en amont de l’ancienne forteresse de Warneton. Nous entrons en France. Le paysage est vert et très mollement ondulé. Ce n’est plus l’étendue rectiligne d’alluvions de la Flandre maritime. C’est l’argile éternellement docile à la main du sculpteur et que la pluie et les ruisseaux modèlent. Des mouvemens de terrain varient et se succèdent. Des courbes lentes se raccordent. Je n’ai vu la Lys que plus haut à Saint-Venant. C’est un canal ayant juste la largeur de deux chalands, et qui coule entre des peupliers. Les petites maisons de briques, souvent peintes, présentent leur long côté à la route, et s’accolent par des pignons jointifs, de sorte que les routes se changent en rues interminables. Les villes vont ainsi à la