Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raisons qui ont fait conserver cette position un peu paradoxale peuvent être de deux sortes : d’une part, il est naturel d’avoir voulu conserver, même en ruines, la dernière ville de la Belgique ; d’autre part, au point de vue militaire, la bataille d’Ypres, qu’on admirera d’autant plus qu’on la connaîtra mieux, a été menée (par 6 corps alliés contre 14 corps allemands ! ) non pas sous la forme d’une défensive tactique, mais d’une offensive constante. Attaquer dans ces conditions peut paraître une folie et s’est trouvé une profonde sagesse. En tout cas, cette méthode imposait de ne pas lâcher le terrain en avant d’Ypres. Il est d’ailleurs probable qu’une tactique sage, raisonnable, qui eût consisté à se retirer à l’Ouest du canal, eût en même temps permis à l’ennemi de développer librement tout son effort pour nous rompre, d’asséner le coup de poing et peut-être de passer.

Quoi qu’il en soit, le front tel qu’il était à la fin de la bataille, vers le 15 novembre 1914, sur la ligne Steenstraete-Langhemarcq-Brodseinde, est resté fixé jusqu’au 22 avril 1915, jour où les Allemands employèrent pour la première fois les gaz asphyxians, immédiatement à l’Est du canal, entre Steenstraete et, Langhemarcq. Les coloniaux du général Putz, qui occupaient les tranchées, virent au loin un rideau de fumée jaune-vert qu’ils prirent d’abord pour l’explosion d’obus ; la fumée s’avança vers eux, et l’asphyxie commença sans qu’ils eussent compris ; mais les Allemands marchaient derrière cette fumée. L’effet de la surprise fut de rabattre la ligne de Langhemarcq jusqu’au canal. Les Allemands le franchirent derrière nos troupes et enlevèrent Lizerne le 24 au matin. Sur la droite de la division Putz, une division canadienne tenait les lignes jusqu’à Brodseinde, sur un front d’environ 5 kilomètres. Le recul des Français ouvrait un large trou sur la gauche des Canadiens. Les Allemands avaient saisi un bois à l’Ouest de Saint-Julien, d’où ils menaçaient directement Ypres. Le général Foch et sir John French jetèrent en toute hâte dans la trouée une poignée de troupes en réserve, quatre bataillons du 5e corps anglais. En même temps, pour raccourcir la ligne, la brigade de gauche des Canadiens, la 3e, après avoir soutenu victorieusement deux assauts, se replia ; puis, dans la nuit, elle tenta de reprendre le bois de Saint-Julien. Cette contre-attaque, exécutée par un bataillon de la 3e brigade et un de la 2e, est un des faits d’armes les plus brillans de l’armée britannique. A minuit, les Canadiens, arrivés