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la Pêcherie, pour venger ces outrages. Le roi du Maduré et le roi de Travancore étaient souvent en guerre ; et la côte, qui dépendait tantôt de l’un, tantôt de l’autre, leur servait de champ de bataille. Mais, selon toutes probabilités, leurs démêlés n’avaient rien à voir dans cette agression, pas plus qu’en 1549, quand, les soldats portugais ayant insulté les Brahmes et souillé leurs temples, les Badages sonnèrent de nouveau le boute-selle et que leur invasion coûta la vie au jeune Père Antoine Criminale, une des plus belles figures de jésuites qui aient paru aux Indes du temps de François.

Les Paravers se dispersèrent sur les flots et dans la forêt. Mansilhas voulut gagner du pied et rejoindre le vieux guerrier, Juan de Artiaga, qui, remercié par François, était allé porter ses lumières un peu plus loin. Mais François le retint à son poste. Il accourut au cap Comorin et se tint en permanence où son troupeau était le plus menacé. Un jour, la fermeté et la noblesse de son attitude firent reculer une bande de pillards. Le tourbillon passé, il recueillait les fugitifs, et, dans l’appréhension d’un retour offensif, organisait des mesures de prudence d’autant plus nécessaires que, chez les Hindous, l’insouciance succède à la panique aussi vite que leur pagne, trempé par l’averse, sèche au soleil. Le capitan de Tuticorin, Cosme de Payva, qui tondait les chrétiens et vendait des chevaux aux Badages, n’avait même pas essayé de sauver quelques Portugais, qui furent massacrés. Mais, à son tour pris de peur, il s’était sauvé dans les îles ; on avait détruit sa maison, et maintenant il jetait feu et flamme contre l’apôtre et refusait de le recevoir. « Aidez-le, écrira plus tard François à Mansilhas, aidez-le à décharger sa conscience des vols qu’il a commis sur cette côte, des maux et des meurtres que sa grande cupidité a occasionnés ; donnez-lui aussi, comme ami de son honneur, le conseil de restituer l’argent qu’il accepta de ceux qui tuèrent les Portugais. C’est si vilaine chose que de vendre à prix d’argent le sang des Portugais ! » Mais Cosme de Payva n’avait pas plus envie de décharger sa conscience que d’alléger ses poches. Enfin, les Badages consentirent à retourner dans leurs bourgs fortifiés. La galopade de leurs chevaux ne troubla plus les ébats nocturnes des chacals. Les Paravers rebâtirent des huttes pour les chauves-souris, pour les reptiles et pour eux.

Les défections et les petites mutineries qui se produisirent