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marque d’esprit qu’il ait jamais donnée. François lui prêchait la patience, la bonté. Il le consolait de ses tribulations ; il l’élevait à ses propres yeux : « Rendez toujours grâce à Dieu de vous avoir choisi pour un office aussi noble que celui que vous remplissez. » Jamais dans ces petites lettres écrites à la hâte un mot qui sente le maître. Les ordres sont donnés sous forme de prières. Mais les prières sont instantes et vous tiennent continuellement en haleine. Un jour dans ce village, le lendemain dans un autre. Que devient le petit Mathieu ? Visitez les chrétiens de Punicale. Ceux qui enseignent les enfans s’acquittent-ils bien de leur tâche ? Hâtez-vous de bâtir une église. Mansilhas le lit et sue à grosses gouttes. François l’associe à ses inquiétudes. Bien plus, il lui confie ses tristesses. Il lui parle comme à un ami et même comme il ne parle pas à ses amis. Mansilhas est un des rares hommes qui aient entendu tomber de sa bouche des aveux de découragement.

Le succès de François chez les Paravers avait probablement décidé l’envoi d’un capitan et de quelques soldats à Tuticorin. L’apôtre les avait-il demandés ? Ce ne serait pas impossible. En tout cas, ils y seraient venus sans qu’il les demandât. Des chrétiens et des perles : double aubaine. Quand le missionnaire suivait le soldat, il n’y avait que demi-mal, ou, si l’on aime mieux, il réparait la moitié du mal que son devancier avait commis. Mais il était beaucoup plus grave que le soldat emboîtât le pas au missionnaire. Dès que les Portugais se furent embusqués à Tuticorin, les choses se gâtèrent. Le 20 mars, François écrit à Mansilhas : « Faites-moi savoir des nouvelles des chrétiens de Tuticorin et si les Portugais, qui y sont établis, leur font quelque tort. » Le lendemain, nouvelle lettre : on vient de l’informer qu’un Portugais s’est saisi d’un message du roi de Travancore et a jeté le messager en prison. Pourquoi ? Sans doute pour le rançonner. Son indignation éclate : « Je ne sais quel parti prendre : mieux vaudrait peut-être ne plus perdre notre temps et quitter un pays où ceux qui doivent nous aider n’en ont cure et laissent tous les excès impunis... Je ne veux plus entendre les si justes plaintes de ces gens à qui l’on fait de telles injures sur leurs propres terres. » Six jours après, les Portugais volent des femmes esclaves à Punicale. Deux mois et demi plus tard, la redoutable cavalerie des Badages, caste guerrière du Maduré, fondait sur les villages de