Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mansilhas, un prêtre espagnol, un prêtre indigène et un vieux soldat, Juan de Artiaga, qui aurait fait un bon suisse à Pampelune, mais qui se montra si têtu et si brouillon que François fut obligé de le congédier. Tels étaient les tâcherons qu’il ramenait sur la côte de la Pêcherie.

La situation avait un peu changé. C’est le lendemain des conversions qui est dur pour les convertis et pour les convertisseurs. Les superstitions et les mauvaises habitudes, un instant éblouies, rouvrent les yeux et se ressaisissent dans la somnolence de la vie familière. La religion chrétienne est une lutte perpétuelle ; et toute espèce de lutte répugne au tempérament apathique de l’Hindou. Moyennant quelques rites et quelques offrandes, il ne demandait à ses dieux que de ne pas le tourmenter. Mais voici un Dieu qui empêche les gens de dormir. Ils deviennent impatiens et de mauvaise humeur. Mansilhas, qui comptait sur de timides néophytes, fut désappointé. Il n’était déjà pas très intelligent en Europe : que fut-ce sous le soleil de l’Inde ! Les Paravers ne tardèrent point à flairer en lui un homme très inférieur au Père François. Ses brusqueries et ses colères, qui provenaient surtout de son incompréhension, compromettaient l’œuvre de l’apôtre. Mais François l’aimait. Dans l’affection qu’il lui portait, il entrait un peu de gratitude pour celui qui s’était offert de si bon cœur à l’accompagner, un peu de pitié aussi et l’attrait de la difficulté qui séduit les grandes âmes lorsqu’elles veulent utiliser même les rebuts et fertiliser même les cailloux. On retrouve presque toujours derrière les hommes exceptionnels un de ces êtres gauches, maladroits, mal venus, qu’ils traînent « affectueusement dans leur orbite. Ils sont parfois forcés de les lâcher en route ; et c’est ce qui arriva en 1548. Mansilhas appelé aux Moluques refusa de recommencer une exploration en pays païen : il en avait tout son soûl. Exclu de la Compagnie, il n’en resta pas moins attaché à François. Ainsi de vieilles domestiques, qu’un coup de tête a chassées de chez leur maître, n’ont d’autre joie dans la vie que de le saluer de loin et, quand il a trépassé, de fleurir sa tombe.

Pour le moment, il était encore docile ; et François lui écrivait de Punicale, de Manapad, de Tuticorin, de Trichandur, de toutes les villes de la côte, d’où il dirigeait ses travaux, des lettres charmantes que Mansilhas nous a conservées, seule