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qu’ils se sont imposées, soit qu’il s’agisse pour eux de détruire un dépôt de munitions allemandes, ou de faciliter l’évasion d’amis enrôlés par force dans l’armée prussienne, ou de mystifier l’un quelconque des innombrables espions qui ne se lassent pas de rôder parmi eux ! Et quant à ce clergé wallon que l’auteur aura sans doute voulu « symboliser » sous les traits inoubliables de son Père André, ajouterai-je que nous comprenons désormais les motifs de la haine tout exceptionnelle dont l’a toujours honoré la barbarie allemande ? Non pas au moins que le Père André ait rien d’un « franc-tireur, » comme oseront l’affirmer, — s’il tombe par malheur entre leurs mains, — les lâches et féroces bourreaux de centaines de ses frères du pays wallon ! Mais c’est chose certaine que son zèle de patriote et sa foi de prêtre s’unissent en lui pour lui faire sentir plus cruellement le double danger d’une conquête allemande, — le danger de celle-ci pour la liberté politique et pour le développement « spirituel » de sa race. De telle sorte que c’est lui qui est vraiment, dans la ville ou dans le village, l’actif instigateur de la résistance, s’efforçant à entretenir ou à raviver, chez ses paroissiens, la crainte salutaire d’un ennemi dont la victoire risquerait de leur nuire à la fois dans ce monde et dans l’autre. Et c’est pourquoi tout le monde, autour de lui, l’aime et le vénère, s’empresse d’écouter ses généreux avis ; et c’est aussi pourquoi l’Allemand, tout à l’heure, quand enfin il aura réalisé son « coup » de brigandage, n’hésitera pas à frapper dès l’abord le prêtre wallon, — sans comprendre qu’à défaut de l’humble personne de cet adversaire le souvenir de sa vie et celui de sa mort suffiront pour continuer d’alimenter toujours, dans le cœur de son peuple, la haine et le mépris du nom allemand !


T. DE WYZEWA.