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sur le front Trébizonde-Sivas-Alexandrette, quelles seraient les conséquences ? La Mésopotamie, la Syrie et l’Arabie désormais séparées de l’Empire ottoman, Arabes et Syriens se rallieraient aux Alliés. Les armées turques, obligées de défendre l’Anatolie, ne pourraient plus participer aux opérations des Balkans. Et déjà ne voit-on pas tous leurs effectifs disponibles se porter vers l’Arménie, abandonnant la Thrace et les Bulgares [1] ?

En outre, les flottes alliées peuvent, par de rapides et fréquentes croisières, tenir les ports de Smyrne, d’Adalia, de Mersina, de Beyrouth, sous la menace de bombardement et de débarquement. Les Turcs se laissent facilement émouvoir par ces démonstrations. Et l’on se demande comment nous ne sommes pas encore à Beyrouth.

Nous voulons souhaiter, en terminant cet article, que les événemens ne démontrent pas bientôt toute l’importance de ce théâtre d’opérations. Il est encore temps d’y faire l’effort qui convient et qui peut avoir les résultats décisifs que nous avons indiqués. Salonique, Erzeroum, Trébizonde, Bagdad, Alexandrette, Smyrne, Sofia, Constantinople ! Ces noms ont gardé toute leur valeur historique. Que l’Angleterre et la Russie s’en souviennent à cette heure solennelle où se jouent les destinées de l’Europe ! Comme on l’avait prédit, la question d’Orient a mis le feu au monde entier. L’Allemagne n’arrêtera l’effroyable hécatombe humaine que lorsque l’Orient lui sera définitivement arraché. Et nous persistons dans notre conviction que cette première défaite serait le prélude du reflux germanique sur le Rhin et sur l’Oder.


Général MALLETERRE.

  1. Des renseignemens que nous recevons nous indiquent, en effet, que les Turcs se concentrent actuellement en Asie Mineure pour arrêter les Russes. Ils ne veulent plus entendre parler de Salonique. L’armée turque, qui a beaucoup souffert aux Dardanelles et en Arménie, ne doit pas dépasser 500 000 hommes ; mais les meilleurs élémens et la plupart des officiers ont disparu. On compte environ 50 divisions, dont beaucoup à effectif très réduit. La grosse masse de l’armée est en Asie Mineure ; quelques divisions défendent la capitale et le gouvernement jeune-turc. Sept divisions sont en Mésopotamie, deux en Syrie, une à Alexandrette, deux ou trois dans la région de Smyrne. Quatre sont encore en Arabie. Les Turcs ont reçu de l’artillerie allemande, mais leurs ravitaillemens sont difficiles à travers l’Asie Mineure. On voit à quelle dispersion de ses forces est contrainte la Turquie.