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« préparation » qui s’est poursuivie pendant des années, sans que les trop confiantes autorités belges parassent s’en émouvoir autant qu’il convenait ; et c’est principalement à l’exacte et minutieuse peinture de ces actifs apprêts d’un grand crime prochain que s’emploie le talent du romancier anglais. Jamais encore, je crois bien, personne ne nous avait aussi fortement démontré la préméditation de ce crime, — car j’ai dit déjà combien, sous ses dehors romanesques, le récit de M. Shanahan nous frappait par sa forte et vivante odeur de vérité !

C’est ainsi que, par exemple, certain soir de la fin de juillet 1914, Jules Calay reçoit la visite d’un ami qui lui dit :


Tu sais comme moi que, depuis quelque temps, le bruit courait d’une nouvelle manœuvre allemande, consistant à emmagasiner des munitions de guerre au Johanneum de Grand Halleux. Je me suis livré, là-dessus, à une enquête personnelle ; et j’ai appris qu’en effet, sans aucun doute, de gros camions automobiles, venant de Recht et de Ligneuville, arrivaient souvent au Johanneum. Ils pénétraient sur les terrains de l’ancien collège épiscopal par l’une des portes, et s’en allaient par l’autre côté. Tu te rappelles peut-être qu’au bâtiment principal du Johanneum se trouve adjointe une construction plus récente, longue et basse, au-dessous de laquelle s’étend une large crypte ou cave voûtée, avec une série de fenêtres grillées tout au ras du sol ? Cette espèce de salle souterraine servait jadis pour les récréations des élèves en cas de pluie : mais il y a longtemps qu’on a cessé d’en faire usage, et c’était précisément là, que, d’après la rumeur locale, devaient être cachées les munitions allemandes. Or quand, hier soir, le général commandant la division de Liège est venu examiner les lieux, — en réponse à la lettre où je lui dénonçais les visites mystérieuses des susdits camions, — force lui a été de constater que la salle souterraine était entièrement vide. Mais, en même temps que j’écrivais à Liège, j’avais demandé à quatre hommes dévoués de tâcher à suivre la piste des camions, depuis la porte par où ils entraient dans l’enceinte du Johanneum. Et voici que, ce matin, mes hommes ont entendu le bruit d’une voiture qui arrivait par la route de Recht ! La voiture contenait, en plus du chauffeur, trois Allemands vêtus de costumes civils, mais qui certainement devaient être des officiers. Parvenus devant la porte du parc, les voyageurs s’arrêtèrent ; et l’un d’eux descendit pour ouvrir la porte, qu’il referma soigneusement dès que le camion eut achevé d’entrer. Mais nos hommes eurent vite fait de franchir le mur, à l’aide d’une échelle ; et ils s’étaient avancés dans le parc à un demi-kilomètre environ de l’entrée lorsqu’ils virent, à cent pas devant eux, la voiture s’arrêter de nouveau, puis tourner à droite, et s’engager dans une vieille avenue qui formait cul-de-sac. N’osant pas se risquer plus loin, les guetteurs se cachèrent sous des buissons, et attendirent. Après une vingtaine de minutes, le camion reparut dans l’allée principale, et continua son chemin vers la direction du collège. Tout au fond du cul-de-sac, nos hommes constatèrent des traces de