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de sa désertion, — d’où, pour le vieillard terrifié, la nécessité de tâcher à s’échapper en secret de sa chère maison familiale. Mais surtout l’action du roman a pour théâtre la petite cité belge de Stavelot ; et c’est à Stavelot ou dans ses environs immédiats que nous est montré, de chapitre en chapitre, l’effort infatigable de la ruse allemande pour préparer les voies de l’agression future.

Voici d’abord une brillante équipe d’espions de toute origine et de toute qualité ! A l’hôtel du Prince d’Orange, équivalent du Lévrier Blanc de Malmédy, le garçon de restaurant Henri, que son patron lui-même croit être un Luxembourgeois ennemi de l’Allemagne, s’appelle en fait Heinrich Lehmann, est le propre frère du voiturier Fritz, et conserve, lui aussi, son rang de sous-officier dans l’armée impériale. Il a d’ailleurs auprès de soi l’un de ses chefs attitrés, Herr Schmidt, qui demeure dans le même hôtel et semble pratiquer assidûment son métier de commis voyageur, tandis qu’un de ses collègues, un autre lieutenant « détaché en mission, » se donne les allures plus « distinguées » d’un rentier hollandais venu à Stavelot pour la guérison de sa neurasthénie. Et c’est encore, chaque jour, à la table d’hôte du Prince d’Orange, un nouveau défilé d’espions de passage, les uns arrivant du cœur de la Belgique et désireux de compléter leur « dossier » avant de rentrer dans leur pays, d’autres amenés de Malmédy par la diligence, et prétextant la louable curiosité de comparer la bière belge à celle de Munich, de Kulmbach, ou de Pilsen. Que l’on se représente l’œuvre collective de ces divers agens, dont chacun est naturellement chargé d’une tâche spéciale, en même temps qu’il doit « doubler » ou contrôler celle de ses complices ! Qu’on imagine ces espions éprouvés s’attachant à recueillir, de repas en repas, à la fois le ballot des nouvelles locales et maintes confidences, éminemment suggestives, de naïfs « touristes » anglais ou français !

Et voici maintenant, à côté de ces Allemands qui écoutent et regardent, d’autres agens non moins habiles qui s’emploient d’une autre manière au service de leur patrie ! Ceux-là s’installent en qualité de fermiers, de marchands, voire de bergers ou de cantonniers, sur tout le long des chemins par lesquels passera l’invasion allemande ; et bientôt les espions de Stavelot ont la satisfaction d’annoncer à leurs chefs qu’en tel endroit une vaste grange est secrètement devenue un dépôt de fusils, qu’en tel autre des caves jusque-là pleines de bière se sont dorénavant remplies d’explosifs, ou bien encore que tel des forts belges de la frontière est désormais miné de plusieurs côtés, et sautera dès que l’on aura décidé de commencer l’attaque. En un mot, une