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d’aveulissement. Le vieux Martin Simonnet, surtout, a beau reconnaître et haïr la tyrannie du pouvoir étranger qui écrase sa cité natale : il s’effraie des suites que risquerait d’entraîner, à la fois pour son fils et pour tout le reste des siens, cette désertion du jeune Wallon. Si bien que ce dernier a dû lui promettre, tout au moins, de retourner à bord de son cuirassé de Kiel, sauf pour lui à se réserver la faculté d’agir ensuite selon les circonstances.

Telle est l’une des deux grandes nouvelles qui attendent Jules Calay, à son arrivée chez ses cousins de Malmédy, tandis que l’autre nouvelle, infiniment plus douce pour lui, consiste à découvrir que le cœur de sa chère fiancée lui est toujours demeuré tendrement fidèle. Et la soirée s’achève en une libre causerie, — mais échangée prudemment à mi-voix entre le visiteur et ses hôtes, car le fait est que les murs eux-mêmes, à Malmédy, semblent dorénavant avoir acquis des oreilles ! On cause, là encore, des nouveaux procédés de « germanisation, » de l’odieuse campagne entreprise par les autorités contre la langue française, et puis aussi de l’aventure d’Agadir et de ses conséquences. D’après le vieux Martin, l’Allemagne, pour prête qu’elle soit à entamer tout de suite le « coup » de brigandage ainsi « amorcé, » préférerait cependant pouvoir attendre quelques années de plus. Elle souhaiterait, en particulier, qu’il lui fût possible de retarder son « coup » jusqu’à l’achèvement d’un multiple réseau de lignes de chemin de fer dont elle a décidé l’installation le long de sa frontière. Et il faut voir avec quelle rapidité fiévreuse elle travaille à cet achèvement, amenant des centaines d’ouvriers dans des régions où ne se fait sentir aucun besoin de nouvelles voies de communication, — à tel point que ce serait assez de ces lignes de chemins de fer, créées par elle dans des endroits où personne ne passe, pour attester publiquement au monde son dessein de jeter bientôt ses armées en territoire belge.


Le roman de M. Shanahan nous ramènera encore plusieurs fois à Malmédy, dans l’un ou l’autre de ses chapitres suivans, — pour nous faire assister, par exemple, aux péripéties dramatiques de l’heureuse évasion finale du vieux Martin Simonnet et de sa fille Louise. Car l’on devine bien que Charles Simonnet n’a pas pu résister longtemps à l’élan passionné qui le poussait à échanger sa livrée de marin allemand contre l’uniforme de l’artilleur belge ; et aussitôt la police allemande a signifié au père du jeune homme que, s’il n’obtenait pas le retour de son fils dans un certain délai, lui-même serait regardé comme le fauteur