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régime de terreur, l’espionnage savamment installé dans toutes les maisons, en un mot tout l’ensemble de ces procédés hâtifs et violens de « germanisation » que connaissent depuis longtemps les « sujets » impériaux de Pologne et d’Alsace-Lorraine. Et puis voilà qu’à présent, non contente de « germaniser » le petit morceau de terre wallonne qu’un funeste hasard lui a jeté sous la main, l’Allemagne médite de s’approprier tout le pays wallon, ou peut-être même la Belgique entière ! Déjà la provocation d’Agadir a constituer « amorce » du prochain attentat. D’une minute à l’autre, les parens de Jules Calay, à Stavelot, — s’ils ne prennent pas la précaution de quitter la ville, — recevront chez eux la visite de sinistres conquérans au casque pointu.


Et la vieille Margot, tout en continuant de servir le souper de Jules Calay, lui parlait de la grande armée allemande qui venait d’être rassemblée au camp d’Elsenborn, du renforcement continuel de la garnison de Malmédy, des nombreux milliers de voitures automobiles alignées depuis des semaines le long de la frontière, et toutes prêtes à transporter en Belgique les troupes impériales. Elle lui disait de quelle manière tout le monde, dans la région, considérait l’agression allemande comme imminente et inévitable. Mais aucune de ces nouvelles que lui débitait complaisamment la vieille servante n’intéressait l’officier autant que celle de la récente arrivée à Malmédy de Charles Simonnet, qui, servant déjà depuis deux ans dans la marine de guerre allemande, avait résolu de déserter pour s’engager dans l’artillerie belge. Comme les autorités allemandes se défiaient, — très justement, — du « loyalisme » des jeunes Wallons de Malmédy, elles avaient dorénavant adopté l’usage de les verser tous dans leur marine de guerre, ou il leur serait plus difficile de témoigner efficacement de leurs sympathies envers la Belgique ; mais elles avaient compté sans les « permissions, » et c’est ainsi que Charles Simonnet, en apprenant le projet d’invasion allemande, s’était juré de profiter de ses quelques jours de congé pour passer au service de ce roi des Belges que ses pères et lui-même avaient toujours honoré comme leur véritable souverain légitime.

Après quoi nous voici, avec Jules Calay, chez les Simonnet, où le jeune Charles ne se prive pas de décrire à son cousin l’aveugle et grossière sévérité de la discipline allemande. Par soi-même, déjà, l’horreur que lui inspire cette discipline aurait suffi pour lui faire désirer de s’y dérober : et voici maintenant que le danger imminent de la Belgique lui fait, en outre, un devoir d’entrer à son service ! Mais là-dessus ses parens ne s’accordent pas avec lui : ou plutôt il se trouve que l’habitude funeste du joug teuton a dès lors commencé, dans l’âme de ces braves gens, son œuvre habituelle de corruption et