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jeune femme qui s’est naguère montrée pleine d’attentions délicates à son endroit. D’un bout à l’autre du livre, nous avons l’impression d’entendre la voix d’un témoin parfaitement véridique, soucieux d’éviter jusqu’à la plus légère apparence d’exagération, et s’interdisant de prêter jamais aux diverses figures « symboliques » de ses « héros » allemands le moindre trait d’astuce ou de cruauté dont il n’eût puisé tous les élémens dans sa longue expérience personnelle du sujet qu’il décrit. De tout son roman s’exhale un parfum de simple franchise et de loyauté qui suffirait, à lui seul, pour nous faire oublier sa complète ignorance du « métier » littéraire, — sans compter que cette ignorance ne l’empêche pas, non plus, de nous offrir çà et là d’aimables paysages, des portraits dessinés d’une main très alerte, et jusqu’à des scènes entières méritant de compter parmi les produits les plus remarquables de toute la littérature anglaise d’aujourd’hui.

Dans une savante étude publiée ici même, et dont je ne saurais assez louer la très haute portée « documentaire, » M. Legouis nous a entretenus des ouvrages nouveaux inspirés par le spectacle imprévu de la guerre aux maîtres les plus fameux de cette littérature [1] ; et force lui a été d’avouer, l’on s’en souvient, que pas un de ces maîtres, les Wells et les Kipling, les Galsworthy et les Shaw, n’avait encore rien écrit, depuis deux ans, qui fût pour ajouter sensiblement à leur ancienne gloire. C’est comme si ces écrivains notoires, trop accoutumés à l’ordre de choses au milieu duquel s’était jadis formé et développé leur talent, se fussent sentis mal à l’aise en présence d’un ordre tout nouveau, et trop différent de celui dont ils se flattaient de nous avoir révélé jusqu’aux moindres secrets : tandis qu’au-dessous d’eux l’on a vu surgir d’autres hommes qui, absolument inconnus jusqu’alors, et d’ailleurs beaucoup moins fournis en fait de ressources « professionnelles, « n’en apportaient pas moins, à ce même spectacle de la grande mêlée européenne, une vision plus fraîche et des nerfs plus solides. C’est à ce groupe d’obscurs débutans que revient, en vérité, l’honneur incontestable d’avoir su tirer quelque parti de la guerre au profit de la littérature nationale d’outre-Manche, — depuis l’Australien M. Ambroise Pratt, dont j’ai eu déjà l’occasion de signaler ici un « roman d’aventures » où les dons d’invention les plus heureux s’accompagnaient d’une observation très « poussée » du caractère allemand [2], jusqu’à ce conteur d’origine probablement

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1916.
  2. Voyez la Revue du 15 septembre 1915.