Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/942

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en cercle, autour de la maison ; après quoi, le capitaine leur avait ordonné de signaler leur présence en faisant feu sur toutes les fenêtres. Bientôt le vieux Martin Simonnet apparut sur le seuil ; mais dès l’instant suivant, il fut ramené de force à l’intérieur de la maison et remplacé, devant l’entrée, par sa fille Louise, une fraîche et gracieuse jeune femme tenant dans ses bras un petit enfant.

— A toi, Fritz ! cria Winterhalter. Un bon coup de fusil sur cette créature !

— Non, mon capitaine, décidément je n’en ai pas le courage ! — répondit l’ex-conducteur de la diligence, en abaissant son arme. — Cette pauvre femme a toujours été excellente pour moi.

— Obéiras-tu, misérable ? vociféra le capitaine.

— Non, décidément, c’est impossible !

D’un coup de son revolver, le capitaine fit sauter la cervelle de l’homme qui, vingt fois, pendant bien des années, lui avait été d’un précieux service. Puis, tournant son arme vers le seuil de la maison, il « exécuta » successivement Louise Calay, l’enfant de celle-ci, et Martin Simonnet, qui était revenu se poster sur le seuil.

— Et maintenant, dit-il à ses hommes, je vous laisse le soin d’expédier ce qui peut encore survivre de cette sale engeance !


Ou bien, peut-être, les habitans de cette maison ne s’appelaient-ils pas Simonnet et Calay, ni leur bourreau Winterhalter, et peut-être le détail des « exécutions » allemandes à Francorchamps n’a-t-il pas été tout à fait tel qu’on vient de le lire ? Car le récit que j’ai brièvement résumé forme, en vérité, le dernier chapitre d’un roman anglais, et où sans doute l’auteur n’aura pas manqué d’entremêler à des souvenirs scrupuleusement authentiques maintes particularités imaginaires. Mais si même nous ne savions pas, d’autre part, que le village de Francorchamps a été l’un de ceux où l’armée allemande a cru devoir faire l’un de ses « exemples » les plus rigoureux, — au point de rendre désormais immortelle la mémoire du « premier massacre de Francorchamps, » — nous jurerions encore que le romancier, M. Shanahan, n’a rien mis dans son livre qui n’eût, tout au moins, son « équivalent » dans la réalité. C’est bien de cette manière qu’ont sûrement procédé, dans ce village ou ailleurs, durant les premiers jours de leur entrée dans le pays wallon, des officiers de l’espèce du colonel Wagner ou du capitaine Winterhalter, — sauf peut-être pour M. Shanahan à n’avoir trouvé que dans son propre cœur l’image du sous-officier prussien refusant de tuer, sur l’ordre de ses chefs, une