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casque abhorré… Des piétinemens de chevaux font courir aux portes…

« Ils » vont être là !

À midi, des avions planent en larges cercles sur la ville. Ils ne sont pas français. Des avions planent lentement, comme des éperviers sur une proie certaine.

Le canon gronde nettement vers Dammartin. Il se rapproche, sa lourde et profonde voix s’appesantit, il tient tout l’horizon…

« Ils » vont être là !

Le dernier train quitte la gare vide. La porte de l’ambulance est close. Le drapeau blanc n’y flotte plus. Le dernier train quitte la gare, avec tous les officiers… Derrière lui, les ponts vont sauter… C’est fini… la ville est séparée du monde. Le monstre peut venir.

Les Barbares peuvent venir : le bon Pasteur qui garde notre race les attend là. Sur la ville abandonnée veille l’unique tour à face de sphinx, la cathédrale, calme, droite, hautaine, pleine de mystère et de clarté.

O fleur jaillie de notre fine terre, taillée par nos aïeux comme une figure de proue, face à l’envahisseur ; sentinelle vigilante au seuil de notre sol vierge de toute souillure ennemie ; dieu-terme, borne pétrie de notre pierre, de notre sable, de notre terre, de notre esprit, de notre amour, de notre foi ; borne qui leur as dît : « Vous n’irez pas plus loin ! » Tu régnas sur la pauvre ville abandonnée comme la Bergère sur le doux royaume, au temps des Anglais.

Les vagues de la grande Horde déferlèrent jusqu’à tes pieds.

Ils pointèrent vers toi leurs gros canons, mais en vain.

Tu fus la triomphante tour qui sonna la première cette glorieuse résurrection :


LA VICTOIRE DE LA MARNE.


JOSE ROUSSEL-LEPINE.