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Que faire ? Partir ou rester ?

Toute la nuit, derrière les fenêtres éclairées, on devine de fiévreux préparatifs, des entassemens désordonnés au fond des malles, des cœurs qui battent la chamade, des cerveaux surchauffés, des gorges sèches, des membres lassés et surexcités qui finissent par ne plus coordonner les mouvemens à l’ordre reçu.

De mystérieux travailleurs, entrevus par les soupiraux des caves, fouillent le sol. Leur bougie posée devant eux projette sur le mur une ombre immense qui brandit une pioche avec de furieux gestes de criminels... Ils ensevelissent leurs trésors comme des voleurs dans leurs cavernes.

Des automobiles en trépidation attendent devant le grand trou béant d’une porte cochère, ouverte sur la profondeur d’une noire avenue. Au fond de l’allée, une lumière brille au seuil de la maison, comme à la fenêtre du château de l’ogre, dans le petit Poucet.

Ici, déjà le désert, le silence morne, la tristesse désolée des grands portails de fer clos sur les jardins... La demeure est abandonnée. La famille a quitté le foyer qui reste seul, comme un autel en prière, prêt à être consumé par le feu du ciel. Les maisons désertées attendent comme des sphinx, redoutables par la mystérieuse force qu’elles tiennent enclose derrière leurs murailles dressées ; muettes, passives et résignées comme des victimes offertes au monstre acheminé vers elles. Les maisons désertées montent une garde silencieuse, le long des routes, au milieu des jardins magnifiques où le généreux été de notre belle France ploie les branches des arbres sous une lourde moisson de fruits. Dans la solitude des larges pelouses, les reines-claude mûres tombent sur les corbeilles de montbrésias...

Les reines-claude tombent une à une, petites gouttes dans le temps qui s’écoule. Les beaux arbres, comme des sabliers, marquent l’heure par la chute de leurs fruits d’or... Hélas ! Hélas ! le jour grandit... Un merveilleux soleil brille sur la ville désolée... La terre est nue sous la lumière nue.

« Ils » vont être là !...

Chaque silhouette apparue au sommet des collines semble suspecte. La tache noire des bois lointains paraît se déplacer. Les rayons qui jouent entre les branches révèlent des sentinelles aux aguets. Tout point brillant sur une route est l’éclair du