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Vers quatre heures, la porte s’ouvre violemment devant le « Patron. » Il veut rire, comme toujours, mais personne n’est dupe. Il y a « quelque chose. » Les dames le suivent... tout ce qu’il reste de « fidèles. »

Dans la petite salle du Conseil, on tient une assemblée suprême. Le « Patron » vient de recevoir un ordre du ministère ; il faut évacuer...

C’est donc la capitulation ? C’est donc fini ? Eux aussi devront fuir ? Une désertion ? Ils se regardent, consternés. Amèrement une jeune femme rappelle la première réunion générale, les résolutions héroïques, les paroles enflammées : « Les infirmières ne devront pas quitter leur poste, quand ce serait sous les obus ! »

L’ordre est formel. Il faut évacuer la gare. Les douze sont là, rebelles, sourds, têtus. Alors, le Patron trouve une transaction. « L’ambulance reste constituée. Nous nous mettons à la disposition du ministre de la Guerre pour être envoyés n’importe où, sur la ligne de feu... Cela va-t-il ? »

Personne ne « flanche ! » ah ! personne ne « flanche » certes. Le « Patron » est très fier. Ils se voient déjà campés en nomades.. Une ambulance ! Une vraie ! Des tentes, des lits de sangle, le froid, la faim, les balles, les obus, la souffrance, la captivité, la mort... Ah ! la belle aventure !

Une dame supplie qu’on ne la sépare pas de sa petite chienne, son unique amour. D’emblée l’adoption de la chienne est votée. Ce sera la chienne de l’ambulance !

On dresse une liste de noms, on sonde les courages, les bonnes volontés, on s’excite mutuellement au sacrifice. On rédige une demande télégraphique au ministère, et l’on se sépare dans le plus pur enthousiasme.

Par habitude, deux dames viennent relever la garde. Jusqu’à la dernière minute, elles tiendront.

L’évacuation de la ville se précipite dans la fièvre croissante. On a peur, déjà, de ne pouvoir partir assez tôt. On assiège la mairie pour les sauf-conduits, on assiège la gare. Les rues sont encombrées des villageois environnans. Ils fuient, droit devant eux, tous leurs biens sur leur charrette, sacs, paillasses, bois de lits, femmes, enfans, bêtes... la vache, l’âne et les moutons précédant la petite troupe. Toutes les pauvres carrioles sont sorties des remises. Quand il n’y a plus de chevaux,