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Le même jour parvint un ordre du ministère : il était désormais interdit de descendre un blessé du train pour le soigner dans les ambulances de la ville, quel que fût son état...

Le lendemain, nouvel ordre : les ambulances de la ville devaient se tenir prêtes à évacuer.

30 août. — Dans la gare, nouvelle cause d’encombrements C’est la ville qui fond, à son tour, la ville qui s’écoule, se vide, se disloque. Ininterrompu défilé de sacs, de bagages, de parens et d’enfans. Les premiers prennent un air dégagé de gens qui s’en vont aux bains de mer : un rien d’un peu trop fiévreux dans leurs gestes trahit leur hâte et leur gêne.

Ironiques, les jeunes femmes ont sorti sur les quais toutes les chaises de l’infirmerie, et bien droites, l’air très sage, s’appliquent à coudre des flanelles pour les soldats, avec la tranquillité la plus parfaite. Toute la ville défile devant elles... suant sous les manteaux et la charge des paquets.

De temps en temps elles lèvent la tête, interpellent une passante avec la plus profonde stupéfaction.

— Comment, et vous aussi, madame ?

Leur attitude est une muette protestation... Quelle joie maligne lorsqu’elles reconnaissent un de leurs compagnons de la veille : « La consigne est de tenir... On ne désertera jamais son poste... Même sous le feu de l’ennemi. »

Au fond, elles trouvent tous ces gens-là un peu fous. Elles avouent bien un certain malaise, mais appartenant à la race de celles qui ont peur d’avoir peur, elles resteront aveuglément optimistes.

Leur infirmerie est toujours aussi nette, aussi soignée. Elles continuent à faire bouillir leurs marmites aux compresses, à tailler des bandes de toile, à plier en quatre des plaques de coton ; leur cahier-journal est tenu scrupuleusement à jour. Chaque soir le comité se réunit à la même heure. La « façade » est maintenue, l’ambulance de gare est toujours là, son petit drapeau blanc se balance au-dessus de la porte.

Les trains d’évacuation se précipitent, les trains de blessés s’espacent. Quelques voix timides insinuent que la ligne est peut-être menacée... que l’on a choisi pour les blessés un autre chemin plus sûr... Ces voix s’éteignent dans une huée générale.

Cependant, les officiers de la gare, eux-mêmes, tiennent