Mille bras, des ailes aux pieds, suppléant à tout par l’ingénieuse intelligence du cœur, ils régnèrent en maîtres pendant les derniers jours.
Ils ne lisaient plus les journaux. Ils ne savaient plus rien. Ils étaient là, suspendus à cette vie qui circulait sur la voie de l’Est, puisant à cette large artère la force et le courage. C’était là, et là seulement, qu’ils mesuraient les pulsations, les sursauts d’énergie de leur patrie ; là qu’ils se penchaient avidement comme au chevet d’un malade atteint d’une fièvre brûlante, se débattant dans les plus violentes attaques... Qu’allait-il en sortir ? Mort ou Résurrection ? Rien au monde ne les aurait fait quitter leur poste. Ils se penchaient, ils écoutaient :
« D’où venez-vous ? »
Ce n’était plus de Belgique, déjà. C’était des Ardennes, c’était de Meuse... Les évacués jetaient des cris sinistres dans la nuit :
« Mézières-Charleville brûle ! La gare de Sedan est en flammes ! »
Et les soldats :
« La Meuse est rouge de sang. Il y avait tant de cadavres, que nous aurions pu la traverser à pied sec. »
On ne comprenait plus. Les uns parlaient de déroute. Les autres d’éclatantes victoires. Ils venaient de partout, du Nord, du Nord-Est, de l’Est. On se perdait en conjectures... De sensationnels renseignemens, sortis on ne sait d’où, entretenaient un certain optimisme.
Le « Monsieur qui a dîné la veille avec un très haut personnage » confiait mystérieusement :
« On les attire dans la vallée de l’Oise. » Un guet-apens. Sur les hauteurs, les 75 sont tellement serrés que les batteries touchent les batteries. »
D’autres :
« Ce sera près de Châlons, aux Champs Catalauniques. Nouveaux Huns, moderne Attila. »
Un matin, passèrent une série de trains sanitaires bien ordonnés, les blessés rangés dans des civières, chaque wagon sous la garde d’un infirmier présidant lui-même à la distribution des vivres. Enfin, des trains modèles... comparés au pitoyable agencement des fourgons à bestiaux habituels.
On se renseigna : les ambulances de Reims évacuaient...
Les ambulances de Reims !...