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conséquence, et ils sont restés pourtant en dessous de leur prévoyance.

Du jour où la Turquie s’est faite la vassale et la complice des Impériaux, les Alliés avaient toute liberté pour trancher enfin la question d’Orient. La neutralité de la Turquie, forcément bienveillante aux Allemands, eût été plus gênante pour les Alliés que son hostilité déclarée. Il semble bien que l’Angleterre l’ait compris et qu’elle ait eu le ferme dessein d’abattre rapidement la Turquie et de rattacher du coup tous les Balkaniques à la cause des Alliés. L’attaque des Dardanelles le prouve bien. Nous savons ce qu’elle a donné. D’autre part, un corps expéditionnaire fourni par l’Inde débarquait à Koweït et s’emparait presque sans coup férir de Bassorah. Un pas de plus, il était à Bagdad ! mais la force et peut-être la volonté ont manqué ! Et après s’être approchée jusqu’à Ctésiphon à la fin de 1915 ( !) la division Townshend s’est fait bloquer à Kout-el-Amara et attend depuis trois mois qu’on vienne la délivrer, ce à quoi s’efforce lentement la division Gorringe. Les inondations, paraît-il, entravent les opérations !

La vérité est que l’attaque anglaise du golfe Persique a été faite sans plan défini et sans les moyens nécessaires. N’insistons pas sur les fautes, et voyons ce qu’on peut faire aujourd’hui [1].

On ne peut douter que le drapeau anglais flottera bientôt sur Bagdad, si les Anglais le veulent bien. Attendront-ils que les détachemens russes, qui filtrent peu à peu à travers le Louristan persan, sur la route de Kermanschah à Bagdad, viennent sonner leurs fanfares aux portes de la vieille cité des Califes ? Et n’est-ce pas le moment d’une action décisive, combinée avec les Russes, pour gagner la première étape qui doit amener la Jonction définitive ? Nous ignorons aussi, comme beaucoup d’autres choses, quel est l’effectif des troupes russes qui opèrent en Perse ; ces troupes doivent appartenir aux corps transcaspiens, leur avance en Perse a été lente, elles ont dû nettoyer le pays de la tourbe des agens allemands, mais elles sont à Ispahan et à Kermanchah. De Kermanchah à Bagdad, il y a environ 300 kilomètres.

  1. Nous rendons pleine justice à l’effort de nos Alliés. Il a été mis en lumière par M. Steed, l’éminent rédacteur du Times, dans une conférence faite à « Foi et Vie. » Nous savons que, comme nous, l’Angleterre est revenue de loin ! Mais elle a eu beaucoup à apprendre, militairement et diplomatiquement ! Et sa lenteur garantit sa ténacité historique.