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effort tenté par une nation contre une place forte. J’ai laissé parler, gémir, gronder, pleurer (le mot n’est pas trop fort) ces combattans, — soldats, sous-officiers, officiers. — Ils disent leurs efforts malheureux, leurs transes, leurs souffrances, leurs déconvenues, leurs pertes, leur révolte parfois.

Dès le milieu de mars, l’Allemagne a, en dépit d’une presse mensongère et de communiqués stupéfîans d’imposture, appris peu à peu l’insuccès : certains avaient pressenti l’échec ; les lettres du front, — pareilles à celles qui sont tombées entre nos mains, — en confirmèrent la réalité.

Ce fut la plus immense déception qu’un peuple ait jamais éprouvée. Alors tout ce que ce peuple a refoulé de souffrances se réveille. Pas un n’accepte bravement la défaite. Ah ! pas plus que le malheureux qui grelotte de terreur devant le fort de Vaux (« Je suis encore si jeune ») ou que l’officier H..., terrifié devant la résistance « monstrueusement opiniâtre » des Français, le civil de l’arrière, qu’éprouve la gêne, n’est un Uebermensch.

Il gémit et murmure et, chose curieuse, il ne s’en prend plus à l’ennemi. J’ai relevé très peu de cris de haine à l’adresse des Français, comme ceux qui s’élevaient, au début de la guerre, en un concert énorme. Car déjà dans son désir unanime de la paix (durant ces cinq mois, c’est le leit motiv : la paix ! la paix !), l’Allemagne commence à comprendre enfin qu’il y a chez elle des gens « qui sont cause de la guerre » et d’ailleurs « en profitent. » C’est à la lueur de la bataille de Verdun, perdue par le Kronprinz impérial en la présence auguste de l’Empereur avec le meilleur sang allemand, que la vérité peu à peu apparaît.

C’est pourquoi il importait de grouper ces documens qui sont une page d’histoire et de psychologie allemandes, écrite par l’Allemagne même, et que je livre au jugement des lecteurs de tous les pays. :


LOUIS MADELIN.