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L’échec de l’armée allemande devant Verdun n’est point seulement une défaite militaire, elle est un désastre moral.

La gêne de l’Allemagne, peu à peu accrue par dix-sept mois de cette guerre, — voulue par elle, — et le mécontentement qui, vers le commencement de l’hiver, commence à gronder, a nécessité, — plus qu’aucune autre considération, — une opération qui, aux yeux de l’État-major, serait « décisive. » Cette opération, on y était « forcé, » a dit le Kronprinz, général en chef des troupes devant Verdun. Et ce que nous avons publié des lettres de l’hiver de 1915-1916 justifie suffisamment ce mot.

Cette opération devait, pour avoir tous ses effets moraux, être couronnée d’un prompt succès. L’annonce a suffi à calmer quelque temps les âmes, encore que les grandes espérances aient été, nous l’avons vu, chez des gens clairvoyans, tempérées ou même étouffées par de grandes appréhensions.

Mais même parmi ceux qui prévoyaient que l’opération coûterait encore des flots de sang allemand, l’enjeu semblait si beau, si grand, qu’il leur paraissait que la tentative méritait d’être faite : l’enjeu, c’était Verdun pris en quinze jours, l’armée française détruite et, sans même que le chemin de Paris fût ouvert ou forcé, la « paix séparée » imposée de Verdun par l’Empereur à la France « effondrée. »

Que Verdun pris, Paris fût à la merci de l’ennemi et la France effondrée, c’était déjà une illusion grosse de bien autres déceptions. Que la France, parce que l’Empereur aurait, « sur la place d’armes de Verdun, » passé sa Festparade le 1er mars ou le 15 ou le 30, signât une « paix séparée, » l’idée nous paraît tout simplement absurde. Mais un tel mirage flattait trop l’orgueil des uns, la lassitude des autres pour qu’un instant cela n’imposât pas silence aux estomacs révoltés et aux cœurs aigris.

Après des succès passagers et rapides, l’armée rencontre une infrangible résistance. « Il ferait bon marcher sur Paris, ricanera, le 2 mars, un Allemand, s’il n’y avait pas les Français en travers de la route. » C’est sur la route même de Verdun que le Kronprinz trouva l’armée française.

Il y rompit ses forces. Cinquante lettres de soldats, — que ne les avons-nous toutes ? car toutes témoigneraient, puisque toutes les lettres saisies en font foi, — nous ont permis de voir aux abords de Douaumont, dans le bois des Corbeaux, sur les pentes du Mort-Homme, se briser le plus prodigieux