Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’aurez jamais Verdun. » A cette question le banquier S..., officier de réserve en congé, pourrait répondre. Le 26 avril, cet homme de poids, financier et soldat, écrit à un autre officier sur le front, une lettre par laquelle il me plait de terminer :


K..., 26 avril.

«... La situation économique de l’Allemagne produit malheureusement des impressions bien pénibles, et si la guerre avec l’Amérique vient s’y ajouter, la population finira par mourir peu à peu de faim. De la viande, par exemple, on n’en trouve plus du tout depuis huit jours à K... ; la municipalité fournit aux indigens de la viande salée que pas un homme ne peut manger. Le sucre, le café, le thé, etc., tout est confisqué. Les médecins ont déjà constaté une alimentation manifestement insuffisante de la population civile de l’Allemagne. Seuls les fournisseurs de guerre gagnent des millions et sont très satisfaits de l’affaire. Tous les autres gémissent et récriminent. Et de plus pas un homme ne croit à la paix prochaine, et la guerre possible avec les Etats-Unis trouve même beaucoup de succès ici, car le peuple imbécile croit que, par une guerre sous-marine plus énergique, on en aura bientôt fini avec l’Angleterre. Du reste, il semble qu’en Allemagne on escompte encore parfois la chute de Verdun. Il y aura une belle désillusion à la fin. »

Ce gros monsieur n’est pas un malheureux aigri par la misère. Il juge de haut, mais après avoir regardé de près. Sa lettre est en quelque sorte la synthèse de tout ce que nous avons lu dans tant de lettres, et synthèse plus forte encore ce qu’écrivait ce père de soldat à son fils, dans une lettre déjà citée : « Cette guerre ne finira point par les armes... C’est celui qui aura à bouffer le plus longtemps qui sera vainqueur et ce n’est pas nous. »


Voilà, scrupuleusement dépouillé, le dossier. Je me suis efforcé de laisser la parole à l’Allemand exclusivement.

Malgré les scrupules et les craintes que peut inspirer, aux correspondans de l’arrière et du front, un aveu trop franc des appréhensions, des anxiétés, des déceptions, des sottises, des échecs, des souffrances et des révoltes, il me semble difficile que l’impression du lecteur ne soit point unanime.