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plus riches, mais les pauvres encore plus pauvres, » écrit-on, le 9 avril, de Ulmbach, et, le 14, de Schrau : « Si la guerre dure encore jusqu’à l’hiver prochain, personne ne vivra plus de nous autres pauvres gens, car il nous faudra mourir de faim et personne ne s’occupe de nous. L’essentiel, c’est que les grosses panses soient pleines. » Dans une carte au musketier S..., du 202e Rés., du 16 avril (Berlin) : « Au Reichstag, il y a actuellement grande délibération au sujet des impôts. Tous les impôts doivent être élevés. On applique toujours le vieux procédé que tu connais bien : Tout pour la grande masse, c’est elle qui doit cracher. »

A côté des jalousies de pauvres à riches, il y a les jalousies de principauté à principauté : « Nous autres, en Prusse, nous sommes les plus mal partagés ; les Hessois et les Bavarois ont suffisamment (10 mai) [1]. »

Le gouvernement soulève d’aigres critiques : « Nous circulerons avec le couteau à la main pour nous procurer du pain, écrit-on au soldat D..., de Krefeld, le 26 avril, s’il n’y a pas bientôt un changement. Le pauvre Etat allemand ! Les gens sont révoltés. » Un correspondant de Berlin, exaspéré, dit, le 19 avril, que le gouvernement fera bien de faire attention. « Sinon, il pourrait bien finir par pleuvoir dans sa baraque. »

Propos d’estomacs mal satisfaits, d’esprits aigris, d’âmes révoltées, — propos sans conséquences immédiates et sans suite pratique — peut-être. Mais est-ce là une mentalité de vainqueurs ?

C’est que, et nous en revenons là, on ne croit plus partout, il s’en faut, aux « victoires » de Verdun. Le 19 avril, un « optimiste » a encore écrit : « On parle partout d’une attaque générale contre cette forteresse obstinée (sic). » Mais l’ « optimiste » avoue qu’il est un des rares Allemands à croire au succès possible. Une naïve épouse veut, une fois pour toutes, en avoir le cœur net : « Maintenant, mon chéri, écrit-elle de Krefeld, le 25 avril, au soldat K..., du 39e Réserve, dis-moi donc une fois franchement si vous pensez enlever Verdun. Ici on dit toujours que vous

  1. Cette aigreur d’Allemands à Allemands se traduit en d’autres lettres : on écrit de Munich, le 16 mai : « Ici, en Bavière, on est d’avis que ce sont les Prussiens qui ont fabriqué la guerre à Berlin, » et un soldat bavarois, le 15 : « J’aime autant les Français que les Prussiens. » Plus généralement, une Posnanienne polonaise écrit de Makenschan : « Les Allemands sont des cochons : la vérité se fera jour. »