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plaisantent amèrement les soldats, répond la « course à la graisse » qui affole les civils.

Je m’arrête seulement à quelques traits en passant, sans sombrer dans l’océan des chiffres. A Berlin (14 mars), « la question des vivres est devenue épouvantable. Il n’y a plus ni beurre, ni sucre, ni café. La viande de porc a déjà complètement disparu depuis longtemps et on n’a la permission de fabriquer du chocolat qu’en petite quantité... Les pommes de terre, qui forment le fond de l’alimentation des classes pauvres, deviennent une délicatesse et leur prix augmente d’une façon colossale... « Finalement il faudra que ce soit les soldats qui envoient du front quelque chose à manger, ajoute le Berlinois, car on répond toujours que tout a été réquisitionné pour l’armée... » D’Eggartskirch, le 15 mai : « Cela ne peut pas durer très longtemps. Il règne une grande misère dans les villes. Ils ont bien des cartes de beurre, mais ils ne peuvent pas trouver de beurre. Il en est de même pour tout. » De Wilhelmstahl (Westphalie), le 5 mars, on se plaignait déjà que des gens volaient les chiens pour faire leur « pot-au-feu ; » on en fait maintenant des saucisses. De Lippstadt, le 25 mai : «... On a encore souscrit 10 milliards 500 millions, mais à quoi sert l’argent quand les vivres manquent ? » De Mayence, le 2 avril, s’élève ce cri, pathétique pour qui a vécu de l’autre côté du Rhin : « L’Allemagne n’a plus de pommes de terre. Il nous faut manger ce que l’on donnait autrefois aux cochons. »

« C’est épouvantable, écrit-on de Halle, le 2 avril, tous les jours ne manger que des tartines de compote et de marmelade ; on finit par devenir soi-même compote et marmelade. Et il faut être là à l’heure exacte et s’avancer au pas de parade, sinon l’on n’a rien. » De Berlin-Treptov, le 6 avril : « Le pain dit « de guerre » qu’il nous faut manger est une masse gluante et brune... C’est une vraie nourriture pour les cochons, mais comme il n’y a pas de cochons pour le manger, c’est à nous de le faire. Quant aux cochons, ils sont actuellement fumés et pendus dans les lardoirs des riches agrariens... » De Hambourg, le 11 avril : « Les articles disparaissent l’un après l’autre, jusqu’au moment où il n’y aura plus rien du tout et alors ce sera la fin. » De Charlottenbourg, le 12 : « Il faut maintenant faire la guerre pour le sucre comme pour le beurre et une fois qu’on est dans la boutique, on vous dit qu’il n’y en a plus. Tu