Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les esprits en France. Autant que je vous connais, monsieur le lieutenant, vous ne partagez probablement pas cet optimisme et vous avez peut-être raison… » Quant aux pertes, on les tient pour sanglantes : « Il faut espérer que ce carnage sera bientôt fini, écrit-on le 12 avril de Rudinghausen (Prusse). Ici, dans les journaux, on dit toujours quand on a enlevé une position : Les Français ont éprouvé des pertes sanglantes, les nôtres sont peu élevées. Mais cela ne peut être vrai ; c’est toujours l’assaillant qui a les plus fortes pertes. »

En réalité, « la masse, » suivant l’expression du soldat de tout à l’heure, est « de plus en plus indifférente vis-à-vis des événemens de la guerre, et s’occupe bien plus des soucis économiques et autres qui, il est vrai, ajoute-t-il, sont brûlans. » Si on pense à la guerre, c’est en faisant le plus amer rapprochement entre « les deux guerres ; » le 23 avril, une ménagère de Dusseldorf écrit au soldat B…, du 39e Réserve : « Presque chaque jour la guerre générale des femmes. Dans la rue, elles se battent comme des chaudronniers. Vous autres, pauvres diables, vous vous battez sur le front et nous autres femmes, nous nous battons ici pour un peu de manger… »

Et certains vont jusqu’à entrevoir, après cette « guerre générale des femmes, » une « guerre civile : » « Il faut espérer, écrit-on de Krefeld, au sous-officier B…, du 39e Réserve, le 24 avril, que la guerre aura bientôt une fin, car si cela continue ainsi, la guerre finira par éclater dans le civil. » En attendant, elle semble commencer entre la police et les femmes.

Un instant (c’est assez frappant), les plaintes sur la » famine » ont été plus rares et moins acrimonieuses. C’est entre le 20 février et le 15 mars à peu près ; c’est que les grands espoirs et les nouvelles enivrantes ont produit leur effet ordinaire de morphine.) Mais voici qu’après les premières semaines de mars, l’insuccès est patent. Et, dès lors, les plaintes recommencent, d’autant plus vives que la situation, — je compare les lettres de décembre et celles de mars — s’est sensiblement aggravée.

J’ai eu sous les yeux, — pour la période mars-mai 1916, — cent lettres où se pose la question des vivres et où la charcuterie occupe une telle place qu’on en sort avec une sorte de nausée. Aussi bien, je n’entends pas entrer dans les péripéties de la lutte pour la saucisse, car à la « guerre de la marmelade » dont