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lettre du 9 avril que « les Français l’occupaient toujours. » Toute l’Allemagne a cru encore un instant, le 26 mars, que Verdun étant « incendié » et les Français « cernés, » la ville serait bientôt « complètement à elle. »

Mais déjà au commencement d’avril, le scepticisme devient général. Les nouvelles qui arrivent du front ne justifient guère l’optimisme inouï des journaux. Un soldat du 125e Landwehr a déclaré, le 18 avril : « L’opinion, à propos de Verdun, est que si la place avait pu être prise, elle le serait depuis six semaines. » Et, de fait, je ne vois plus une seule lettre où perce le moindre espoir qu’on entrera à Verdun.

Un Alsacien, évacué de Mulhouse, écrit le 24 avril : « La jactance des officiers allemands à Mulhouse a beaucoup baissé. On ne parle plus de victoire, mais on espère encore une paix honorable. Quant à la troupe, elle est tout à fait démoralisée et aspire à une fin rapide. »

Le 49 avril, une lettre au lieutenant A..., du 172e régiment, datée d’Offenbourg (Bade), contient cette phrase : « La masse du public a une attitude de plus en plus indifférente vis-à-vis des événemens de la guerre et s’occupe bien plus de ses soucis économiques. »

C’est que, pendant que de jour en jour la grande victoire de Verdun paraît aux uns plus vaine, aux autres plus hypothétique, on « se bat pour le pain quotidien. »


V. — LA « LUTTE POUR LE PAIN QUOTIDIEN »

« Je ne peux plus vivre cette vie-là ; je ne peux pas résister à cette lutte pour le pain quotidien. »

C’est le cri de désespoir par lequel se termine, le 19 mars, la lettre d’une femme de Linden (Hanovre) à son mari. Pas un instant, il n’y est question des « grandioses succès » de Verdun. La guerre en France devient le cadet des soucis, surtout lorsque, vers le milieu d’avril, le scepticisme commence à gagner l’opinion. Ce scepticisme se traduit dans plusieurs lettres dont il suffira de citer deux extraits. Je choisis la lettre d’un soldat évacué qui, cependant, se proclame « optimiste : » « Seuls quelques optimistes incorrigibles, — dont moi, — écrit ce soldat à son lieutenant le 19 avril (d’Offenbourg), se promettent de la chute prochaine, il faut l’espérer, de Verdun, un effet bienfaisant