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Je passe sur une demi-douzaine de lettres de la fin de mars, sur le thème formulé par l’une d’elles (de Morsbach, 29 mars) : « Pourquoi et pour qui les pauvres gens doivent-ils donc se laisser immoler ? »

Les plus mauvais bruits circulent :


Niéderdorla, 30 mars.

«... On raconte ici que les soldats auraient déposé leurs armes en disant qu’ils ne voulaient plus combattre avec de la marmelade pour nourriture [1]. Je ne peux pas leur donner tort..., si cela est vrai... » Et voici une note intéressante : « La misère dans le pays est très grande. En France, il ne peut en être ainsi, car les prisonniers qui sont chez Karl Müller reçoivent des envois, même de leurs compagnies. J’en tremble quand je vois ces gaillards. »

On sait, par les lettres de soldats, qu’ils sont, eux aussi, peu nourris.

Et peu à peu se fait jour un sentiment que je vois bientôt se formuler dans bien des lettres : la rancune contre le riche qui s’embusque.


19 avril 1916.

« Mon cher mari,

« C’est épouvantable : les hommes sont entraînés par force à la boucherie ; naturellement, ce ne sont que les pauvres, car les riches ne vont pas si loin à l’avant. Au commencement de la guerre, on lisait dans les journaux que tel ou tel riche avait été tué, mais maintenant, il n’y a plus que les pauvres qui tombent au champ d’honneur. Merci pour l’honneur ! Vous vous faites tuer là-bas, et nous, à l’intérieur, nous mourons de soucis et de chagrins. » Une autre correspondante écrit : «... De ceux qui ont causé la guerre aucun ne meurt. »

On voit partir avec tristesse, parfois avec désespoir, les jeunes hommes comme les « vieux : »

De Hagen (Westphalie), on écrit, le 5 mars, à un homme

  1. J’ai laissé de côté quantité de passages de lettres de soldats ayant trait à cette question de la marmelade. Les hommes écrivent souvent : « C’est la guerre de la marmelade. » Je pourrais résumer le point de vue alimentaire qui absorbe tant de gens par cette formule : « Trop peu de saucisses à l’arrière, trop de marmelade à l’avant. »