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nos vaillantes troupes seront victorieuses, et les hommes du XVe corps pourront être fiers, en rentrant dans leurs foyers, de dire qu’ils ont participé à la prise de Verdun. »

Cette harangue, napoléonienne, — à laquelle il ne manquait qu’une chose : Austerlitz, — n’a pas produit grand effet.

La troupe ne croit plus, nous allons le voir, à la prise de Verdun, et la population civile de l’Allemagne, déçue, ne dissimule pas sa cruelle déconvenue.


IV. — LA DÉCEPTION


Ittlingen, 2 mars 1916.

«... Nous sommes très inquiets, car nous pensons que tu es aussi près de Verdun : là-bas, tout le monde est tué (Alles kaput) et il ne faut pas songer le moins du monde à percer. Les Français ne sont pas des Russes et on ne peut pas dominer leur artillerie. Tout ce que les journaux racontent, personne ne le croit plus. Il n’y aura pas de décision, car chez les Turcs non plus, cela ne va pas... Par quelles épreuves tu passes et rien à manger !... Au début, ce n’était qu’un cri au sujet de nos grands succès... Quelques criailleurs s’imaginaient que Verdun tomberait en quelques jours. Oui, s’il n’y avait pas l’artillerie française ! Il ferait bon marcher sur Paris, s’il n’y avait pas les Français en travers de la route ! »

Déjà, la déception est formelle et l’aigreur de la déconvenue donne de l’esprit à ce bourgeois d’Ittlingen, mais un esprit bien peu conforme à « l’incomparable discipline. »


Strassdorf, 6 mars.

« Malheureusement, nous apprenons que tu es devant Verdun... Ce doit être effroyable de tenir ainsi sous le feu des obus. Les journaux français eux-mêmes écrivent qu’être à Verdun maintenant, c’est pire qu’être en enfer ; et pourtant, depuis quelques jours, on dit que vous n’avancez plus. Les Français et les Anglais se défendent évidemment jusqu’à la dernière limite. »

« Vous n’avancez plus ! » Huit jours avant, l’Allemagne illuminait pour la prise de Douaumont. Déjà, on s’impatiente, le 6 mars ! et les lettres vont nous mener à la fin de mai, sans qu’il y ait plus lieu d’allumer un lampion ; au contraire. Les lauriers sont coupés.