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Les pertes sont d’ailleurs effroyables : je ne citerai que quelques témoignages. Un soldat du 8e grenadiers a écrit de Benzheim, le 26 février : « J’ai été blessé le 24 février devant Verdun. Nous avons eu de durs combats et de lourdes pertes. Notre commandant de compagnie a été tué et les trois Zugführer ont été blessés. » Un autre soldat écrit : « Du 21 février au 12 mars, j’ai pris part à l’attaque de Verdun... Nous, c’est-à-dire une compagnie, étions partis avec 210 hommes et nous sommes revenus avec 30, » et il ajoute : « Savoir s’il y aura la paix si Verdun tombe, c’est encore douteux ! » Or, c’est pour la paix qu’on se jetait à l’assaut.

Est-il étonnant qu’un prisonnier du 130e régiment, décrivant après tant d’autres le moral en baisse de ses camarades, ajoute : « Ce sont ces combats stériles devant Verdun qui ont déprimé les courages. »

Les officiers du 11e chasseurs parlent de nouveau de recourir au revolver contre leurs hommes, de jeunes soldats de la classe 1896 ayant refusé de sortir des tranchées.

On essaie toujours, en haut lieu, de remonter les courages : généraux, princes, l’Empereur lui-même se répandent en harangues et proclamations.

Un ordre de l’armée parle « d’un arrêt momentané de la lutte pour repartir ensuite à de nouveaux combats, » car il faut prendre Verdun, « cœur de la France, » a dit le Kronprinz, ce qui indique chez ce prince une médiocre connaissance ou de la géographie ou de la physiologie. Les hommes, dit un soldat du 8e, ont souri de l’expression, se demandant « comment le cœur de la France pouvait se trouver à Verdun. »

L’Empereur, passant en revue la 21e division, s’est écrié : « La décision de la guerre de 1870 a eu lieu à Paris. La guerre actuelle doit se terminer à Verdun par une victoire essentielle (wessentliche Sieg) ; » et le général von Deimling, devant les troupes du XVe corps d’armée, dans la région de Norroy-le-Sec, a prononcé, le 14 avril, une allocution vibrante : « Le XVe corps d’armée s’est déjà distingué ; il faut encore faire un effort pour prendre Verdun, âme de la France. Nous n’avançons que lentement, mais nous l’enlèverons certainement. Nos femmes, nos enfans, nos parens le veulent. Les Français défendent Verdun avec acharnement. Ils ont déjà engagé trente-huit divisions, et ceci prouve toute l’importance qu’ils attachent à la place ; mais