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C’est parfois épouvantable. On dirait que la montagne s’écroule... Les cuisines sont à deux heures de chemin en arrière. Pour Pâques, nous n’avons rien eu à manger ni à boire, si ce n’est la moitié d’un quart de café. De l’eau, il n’y en a plus une goutte ici ; mais maintenant la ration de café augmente un peu, car notre nombre diminue de plus en plus. »

Je crois bien que le cri du chasseur L..., de la 1re compagnie du 11e bataillon, est dans nombre de bouches : « Ich bin’s cloud satt. J’en ai par-dessus la tête. » Il ajoute énergiquement : « Ce fumier-là aura bien une fin. »

On sourira de la conclusion imprévue que tire un soldat du 56e Réserve (9e compagnie), plus illusionné : « Il faut espérer que le Français réfléchira bientôt et fera la paix : alors notre plus grand souhait sera accompli. »

Et voici, pour finir, une des dernières lettres trouvées sur un soldat et datée du 6 mai :

« Ce sera sans doute la dernière fois que je vous écris, car on nous conduit à l’abattoir [1]. »

Est-il besoin, après ces quelques lettres prises entre tant d’autres, de donner les extraits d’interrogatoires, qui, tous, confirment ces témoignages ? Je n’en citerai que quelques traits entre mille. Tous se lamentent sur les pertes subies par le fait de notre artillerie ; ils décrivent les combats autour de Douaumont, devant Vaux, au bois des Corbeaux, au pied du Mort-Homme, comme autant de « massacres. » Plusieurs affirment que, devant la mort presque certaine, le nombre est croissant des hommes qui se font porter malades la veille des combats. « Les officiers feraient de même, » dit le compte rendu d’un interrogatoire de soldats du 28e Ersatz bavarois, et il resterait actuellement à la 12e compagnie « un officier sur quatre. » Des Polonais du 60e régiment donnent, eux, les noms. La veille d’un engagement à l’Ouest de Vaux, le 10 avril, « le major B..., commandant le régiment, et le capitaine G..., commandant le 3e bataillon, se sont fait porter malades. » Des grenadiers du 3e régiment, 12e compagnie, racontent avec une grande aigreur que « le capitaine commandant la compagnie, très dur avec les hommes, s’est fait porter malade le 22 avril, en arrivant aux tranchées. »

  1. De Grunberg, le 11 mai, on écrira : « Tous les soldats écrivent qu’ils en ont assez. »