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Plaintes sur la nourriture, dont parfois on est totalement prive. « Nous avons chaque soir la moitié d’un verre à boire de café, » écrit le 11 avril un homme du 39e Réserve), plaintes sur les « nerfs irrités, » les « nerfs malades, » les « nerfs absolument brisés, » plaintes sur l’artillerie française encore, qui non seulement fait subir de grosses pertes en avant et en arrière, mais encore (lettre d’un musketier du 20e régiment, du 28 avril) bouleverse tous les travaux : « Tout ce que nous construisons est aussitôt démoli par l’artillerie. »

A mesure que la bataille s’avance, sans avancer, la démoralisation s’aggrave, se traduit dans tant de termes et dans tant de lettres qu’il me faut choisir.


29 avril 1916.

«... Je suis maintenant depuis quelque temps à l’hôpital pour ma maladie de cœur ; j’ai pris part à l’offensive devant Verdun et cela m’a tapé sur les nerfs... Il m’est impossible de te décrire la bataille devant Verdun telle qu’elle a été et qu’elle est en réalité. Il n’y a jamais eu, sur aucun théâtre d’opérations, une lutte d’artillerie pareille à celle qui s’est déchaînée là... Nos trois batteries ont perdu plus de 300 hommes tués ou blessés en sept semaines, alors que pendant tout le reste de la guerre elles en avaient perdu à peine 500... » (Lettre du conducteur G... au soldat X... du 78e Réserve.)


Devant Verdun, sans date.

« Je vous fais savoir que je suis encore en bonne santé, bien qu’à moitié mort de fatigue et d’effroi. Je ne peux pas vous écrire tout ce que j’ai vécu ici, cela a dépassé de loin tout ce qui avait eu lieu jusqu’à présent. En trois jours environ, la compagnie a perdu plus de 100 hommes, et bien des fois je n’ai pas su si j’étais encore vivant ou déjà mort... J’ai déjà abandonné tout espoir de vous revoir. Celui qui sortira d’ici entier pourra remercier Dieu.... » (Lettre saisie sur un blessé allemand du 56e Réserve.)


Devant Verdun, 30 avril.

« Je suis depuis le vendredi saint devant Verdun. C’est effroyable. Nous avons eu déjà beaucoup de pertes. Nous sommes sur le penchant d’une montagne, dans des trous...