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bombardement effroyable, et cela pendant 8 jours et 8 nuits consécutifs, cela brise complètement les nerfs. Au point de vue santé, je vais encore assez bien. J’ai les pieds complètement trempés et froids et un froid colossal aux genoux.

« J’espère que j’aurai le bonheur de sortir vivant d’ici, je me le souhaite, car on ne peut même pas y être enterré proprement [1]. »

Le soldat S..., du 208e, est encore plus amer et devient même violent.


En France, le 15 avril.

«... Tu ne peux t’imaginer à quel point j’ai parfois assez de la vie, car ici on nous fait barder suivant toutes les règles de l’art. On n’a pas de repos jusqu’à ce qu’on tombe le nez dans la boue. Quelle dérision quand on lit dans les journaux : « Nos chers soldats (Feldgrauen) ! » Si vous saviez à quelles épreuves ils sont soumis et embêtés encore par-dessus le marché, on ne vous servirait pas de pareilles histoires. Hier, il faisait encore un temps affreux et nous étions transpercés jusqu’aux os. Alors on a dit : « Pourquoi ne chantent-ils pas aujourd’hui ? » Et dans notre misère, il a fallu encore chanter. »

Ce chant par ordre, quelle lueur il jette sur ces malheureux et la mentalité de l’armée ennemie !

Je m’arrête : que de lettres il faudrait maintenant insérer ici ! C’est tantôt une phrase sur les terribles blessures causées par les éclats de nos obus « coupans et très chauds » (soldat du 201e Réserve, du 18 avril), tantôt une plainte amère sur la « grêle d’obus » tombant jour et nuit, et transformant le terrain, où le soldat M..., du 39e Réserve griffonne sa carte, en un champ « de ruines et de mort. » Et M... d’ajouter : « Je me figurais que je ne partirais pas et voilà que je suis envoyé justement où c’est le plus terrible. » Faut-il citer aussi la lettre (28 avril) d’un soldat du 39e Réserve qui est « avec le médecin, en réserve, » mais voit avec tristesse arriver les blessés et partir une foule de malades. « Nous avons continuellement des pertes, toutes par l’artillerie... En outre, il n’y a rien à faire avec nos troupes maintenant. Nous avons beaucoup d’évacués pour maladie : typhoïde, dyssenterie, etc. »

  1. J’ai vu interroger le lieutenant H..., c’est un grand et gros jeune homme qui n’avait certes point l’apparence d’un gaillard facilement démoralisante.