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« Mon beau temps d’officier de liaison avec le régiment 56 est passé depuis plusieurs jours. Nos pertes en officiers sont assez considérables, de sorte qu’il a fallu que je prenne la 8e compagnie comme commandant de compagnie. Je me trouve actuellement avec ma compagnie en toute première ligne. Je suis ratatiné dans un tout petit trou de boue qui doit me protéger contre les éclats des obus ennemis qui arrivent sans arrêt. J’ai déjà vu bien des choses à la guerre, mais je n’avais encore jamais connu une situation aussi indescriptiblement effroyable. Je ne veux pas vous en faire une description détaillée, car je vous inquiéterais inutilement. Nous sommes jour et nuit sous un tir d’artillerie effroyable. Les Français font une résistance monstrueusement opiniâtre. Le 11 avril, nous avons fait une attaque pour prendre les tranchées françaises. Nous avions commencé par faire une préparation d’artillerie très considérable, pendant douze heures, puis l’attaque d’infanterie s’est déclenchée. Les mitrailleuses françaises étaient absolument intactes, de sorte que la première vague d’assaut a été immédiatement fauchée par le tir des mitrailleuses, dès qu’elle a eu quitté la tranchée. En outre, les Français ont déclenché à leur tour un tel tir de barrage d’artillerie, qu’il a été impossible de plus penser à aucune attaque. Nous sommes maintenant dans la tranchée de première ligne, à environ 120 mètres des Français. Le temps est lamentable, froid et pluie continuelle, je voudrais que vous voyiez en quel état je suis, bottes, pantalon, manteau, trempés et couverts d’une couche de boue d’un pouce.

« Tous les chemins sont pris sans arrêt sous le canon par l’artillerie française, si bien que nous ne pouvons même pas enterrer nos morts. C’est lamentable de voir ces pauvres diables gisant morts dans leurs trous de boue. Tous les jours nous avons des tués et des blessés. Ce n’est qu’en risquant des existences qu’on peut faire mettre les blessés en sûreté. Il faut aller chercher le repas à 3 kilomètres en arrière aux cuisines roulantes, et là aussi il y a danger de mort. Nous avons tous les jours des tués et des blessés parmi ceux qui vont chercher le repas, si bien que les gens aiment mieux souffrir de la faim, que d’aller chercher à manger. Dans la compagnie, presque tout le monde est malade. Être à la pluie toute la journée, complètement trempé, dormir dans la boue, être nuit et jour sous un