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en poussant des hurras. Nous enlevâmes les premières tranchées. Malheureusement, nous y subîmes des pertes assez fortes. De mon escouade qui comprenait dix-neuf hommes, il n’en reste plus que trois... Celui qui s’en tire avec un Heimatschutz peut dire qu’il a de la chance, mais maints camarades y laissent aussi la vie. » Un revenant de Russie est terrifié par ce feu : « Je suis de nouveau en campagne, écrit-il le 3 avril, mais sur le front occidental. En Russie, c’était un jeu d’enfant à côté du feu d’artillerie d’ici. »

On comprend que l’Empereur et le Kronprinz sentent, vers le 1er avril, le besoin de remonter les soldats. A cette date, le mitrailleur du 87e assiste à une inspection par le souverain et son fils. Guillaume II prononce une allocution qui se termine par ce mot d’une vérité incontestable : « Quand l’ennemi sera abattu, nous aurons bientôt la paix. » De cette revue de Marville, nous avons un autre compte rendu, dans la lettre (du 2 avril), d’un soldat de la 21e division, qui ajoute que « l’Empereur est devenu très vieux, » — le discours semblant d’ailleurs en témoigner.

Reste « pour avoir bientôt la paix, » à « abattre l’ennemi. » Or, les lettres et carnets continuent à révéler chez les soldats allemands la plus amère déception. Deux lieutenans échangent leurs impressions ; le lieutenant B..., du 32e de réserve, écrit au lieutenant W..., du 82e de réserve, le 29 mars : « Votre position n’est certainement pas des plus agréables, mais notre régiment n’est pas mieux partagé, et l’artillerie ennemie nous inflige de lourdes pertes (près de Douaumont). » Le mitrailleur du 87e qui, le 6 avril, a été porté « à la position de la première ligne à gauche de Douaumont, » signale que, « le 8, l’attaque a été étouffée « par le violent tir des Français » et, le 14, il écrit mélancoliquement : « Aujourd’hui mon 19e anniversaire. Comment me faut-il le célébrer ? Par la pluie et le feu de l’artillerie, blotti dans un trou sous terre comme une taupe. N’avoir que dix-neuf ans et être en guerre depuis dix-sept mois ! »

Le soldat S..., du 80e régiment, n’estime pas plus que ses camarades le séjour de la rive droite : «... Nous sommes ici, écrit-il le 11 avril, dans un trou d’enfer : feu d’artillerie jour et nuit. Hier, un obus est tombé tout près de l’église, et, du coup, trois hommes tués et neuf blessés. Tu aurais dû les voir courir. Si seulement cette malheureuse guerre prenait fin ! Pas un