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Constantinople, c’est-à-dire la ruine de l’Empire ottoman et, par le fait même, la défaite de l’Allemagne et la solution de la question d’Orient au profit des Alliés. Mais il est certain que Salonique est plus près de Constantinople qu’Erzeroum et Bagdad, et que l’attaque principale doit partir de la base d’opérations la plus avantageuse. Tout ce qui peut seconder cette attaque principale, diviser et détourner l’ennemi, lui enlever de ses ressources et de ses disponibilités, n’en doit pas moins entrer dans les calculs de l’offensive stratégique. Or, nous savons ce qu’est l’Asie Mineure pour la Turquie : c’est le réservoir de son armée et son magasin à vivres.

L’attaque des Dardanelles était logique, elle visait Constantinople au plus court, et la possession des Détroits avait une double et heureuse conséquence : elle assurait la liaison avec la Russie, elle coupait les Balkans de l’Asie Mineure. Il ne s’agit plus de la reprendre, puisque aux Turcs se sont ajoutés les Bulgares. Avant d’entrer à Constantinople, il faut battre les Bulgares et entrer à Sofia.

Mais il tombe sous le sens que l’offensive de Salonique sera puissamment soutenue si les Turcs sont obligés de faire face aux armées alliées en Asie Mineure. Cela ne veut pas dire sans doute que Salonique attendra que les. armées d’Erzeroum et de Bagdad soient sur la rive d’Asie en vue de Sainte-Sophie. Seulement, le jour où ces armées entreraient en Anatolie et en Syrie, le sort de la Turquie serait décidé.

Reste à savoir si cela est possible. Nos lecteurs voudront bien admettre le postulat que j’ai posé, en tête de cet article, sur la nécessité qui s’impose d’agir en Orient et de considérer le front balkanique au même titre que les autres fronts. La victoire dans les Balkans, en rouvrant le chemin de Vienne aux armées alliés, — y compris les Italiens, — serait aussi féconde que le forcement des lignes allemandes en France et en Russie. Personne n’en doute, mais on diffère d’avis sur les possibilités d’exécution. Pour en raisonner à coup sûr, il faudrait avoir les élémens de certitude dont disposent seuls les Gouvernemens, c’est-à-dire : les tableaux des effectifs restans, du matériel et des munitions, les moyens de transport des ravitaillemens, les renseignemens contrôlés sur la situation de l’adversaire. Mais, même ainsi documentés, les chefs politiques et militaires peuvent se tromper et rester indécis. Nous en avons eu des