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Dehors, les brancardiers ! Un projectile a tué un homme et en a blessé deux. C’est amer. »

Ce n’est pas ce genre d’amertume que je relève dans une lettre civile, mais une remarquable clairvoyance que je n’aurai pas besoin de souligner lorsqu’on l’aura lue. Elle est adressée au soldat P... du 104e d’infanterie (tué à la cote 304, le 17 mai) par son père, citoyen d’Ittlingen (grand-duché de Bade).


Iltlingen, le 5 février 1916.

«... Tu nous écris que cela va bientôt se déclencher : j’ai la conviction que les Allemands ne perceront pas ; ils se trompent sur les Français, surtout sur leur artillerie ; tous les soldats qui viennent en permission disent que l’artillerie française est bien supérieure à la nôtre... Tu peux penser si les nôtres perçaient sur un point, quels feux croisés, quel Trommelfeuer ils recevraient. Tout le monde serait tué. Je crois que l’individu qui voulait prendre une forteresse avec un régiment était un fou. Est-ce qu’on croit que les gens élèvent leurs enfans pour les conduire inutilement à la boucherie ? Après la guerre, on en reparlera... Sois prudent ; cela n’a aucun intérêt. Cette guerre ne finira pas par les armes ; que signifient la Serbie et le Monténégro ? C’est accessoire. C’est celui qui aura le plus longtemps à manger qui sera vainqueur, et ce n’est pas nous. »

Vers cette époque, le 9 février, le soldat R..., de la 9e compagnie du 64e, devant Verdun, écrit sur son carnet : « De lugubres pressentimens nous oppressent... Dieu nous ait en sa garde ! » et le soldat Didier, du 143e d’infanterie, qui passe la frontière : « Nous sommes entrés dans le silence, en France. »

Que sera-ce le jour où, après un effort malheureux que nous allons essayer de suivre, on entendra s’élever (le 19 avril) ce cri de colère : « Les hommes sont entraînés de force à la boucherie. »


III. — L’EFFORT MALHEUREUX

Le 21 février, après huit jours passés à se morfondre sous la pluie et dans la brume, l’Allemand attaque.

L’Allemand autrefois, — sur l’ordre de ses propres chefs, — tenait un carnet. Depuis que les carnets saisis au début de la campagne ont révélé les pires vilenies et des atrocités dès lors