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Verdun et Verdun lui-même. Je vous écris cette lettre le 21 février à quatorze heures. L’artillerie a déjà commencé à tirer depuis huit heures avec les plus gros canons, des mortiers de 42, de 38 et de 30. Il va y avoir une lutte comme le monde n’en a pas encore vu. Nos chefs nous ont renseignés et nous ont dit que l’Allemagne et nos chères familles attendaient de nous de grandes choses. Espérons que notre entreprise va réussir et que Dieu sera avec nous... Nous sommes désignés pour la plus grande tâche qui va peut-être amener la décision dans cette lutte effroyable. Tous seraient bien heureux si c’était la fin, car tous voudraient bien rentrer chez eux, mais un malheur est vite arrivé, surtout quand on doit prendre une forteresse comme celle-ci, la plus grande forteresse des Français. »

Nous verrons tout à l’heure la belle ardeur du soldat allemand s’affaisser au cours de la lutte. Mais cette ardeur au début n’est pas niable. Le soldat se jette violemment à l’assaut de la « plus grande forteresse des Français » avec l’espérance de l’enlever et de « contraindre ainsi la France à la paix. »

Cette espérance des soldats trouve naturellement son écho en Allemagne. Quand, le 25 février, un journal [1] écrit déjà le mot : « Victoire de Verdun » et annonce « l’effondrement de la France, » quand, après l’occupation de Douaumont, transformée par le communiqué allemand en assaut magnifique, un autre déclare qu’on peut entrevoir la chute de la forteresse à brève échéance, quand la Vossische Zeitung annonce que « Sainte-Menehould, Bar-le-Duc, Commercy et Revigny sont déjà évacués, » quand vingt gazettes proclament que Verdun, « pierre angulaire de la France, » est « cerné, » ils représentent cette fois et formulent l’opinion un instant enivrée de l’Allemagne. Et telle aura été l’ivresse que le « ralentissement des opérations, » — autrement dit l’échec sur toute la ligne, — après le 27 février, ne suffira pas à refroidir tous les enthousiasmes.

Le 1er mars encore, on écrit d’Oberwinter (Prusse) : « Maintenant, la décision va évidemment intervenir dans l’Ouest. Ce serait bien à désirer. » Le 6 mars, une femme essaie même de se rassurer sur les dangers que court son mari :

  1. Chemnitzer Volksstimmung, du 25 février.