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Certaines ont un ton menaçant. Appelant « l’offensive générale, » un correspondant de Dortmund écrira, le 22 janvier : « Sais-tu que l’Allemagne ne peut tenir... Les gens se battent dans les marchés pour avoir du beurre. » Un autre, de Cassel, le 13 février : « Que le bon Dieu fasse que la guerre finisse bientôt, autrement il y aura des désordres comme en 1848. » Un autre (sans indication de lieu) du 28 février : « Espérons que la guerre prendra fin bientôt ; sans cela, on verra de tristes choses en Allemagne. » Et enfin, de Dornhach, le 20 février (pour n’en pas citer d’autres), part ce cri : « La guerre va-t-elle continuer jusqu’à ce que tous les jeunes gens soient tués ? Tout le monde ici est très aigri par la durée de la guerre. »

Multiplions ainsi qu’il convient ces lettres par cent mille. Elles sont caractéristiques d’une opinion au moins troublée, « aigrie. » Si, comme tout permet de le croire, le gouvernement impérial à une bonne police, cette opinion, déjà si montée pendant l’hiver de 1915-1916, doit lui donner à réfléchir. A l’arrière comme sur le front on se démoralise. Point n’est besoin d’aller chercher les raisons d’ordre diplomatique et d’ordre militaire. Ne pouvant donner à l’Allemagne le pain, il faut lui donner la victoire, — faisant luire la fin de la guerre comme une échéance proche. Les prisonniers russes évadés, interrogés le 18 février au quartier général de l’armée de Verdun, exposent la situation en gens qu’a édifiés un assez long séjour à l’intérieur, puis parmi les troupes de l’Allemagne :

« La situation intérieure est devenue intenable et il faut que l’Allemagne prenne l’offensive... On dit que Guillaume II voudrait en finir en essayant de réaliser un grand mouvement. La détresse est grande chez l’ennemi. »

Les estomacs crient, on casse des vitres, on pille des magasins, on excite les soldats à se ménager, et le soldat lui-même gronde. L’Empereur, désireux d’ailleurs de créer à son fils des droits éternels à la reconnaissance nationale, est « contraint » de jeter la nation allemande à l’offensive pour la paix : ce sera l’attaque sur Verdun, « cœur de la France. »


II. — LES ESPÉRANCES ET LES CRAINTES

« Mes amis, il nous faut prendre Verdun. Il faut qu’à la fin de février, tout soit terminé. L’Empereur alors viendra passer