Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/882

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Charlottenbourg, 29 décembre.

«... Elles (quelques centaines de femmes) font la queue depuis midi ; elles crèvent de faim, elles gèlent, elle deviennent malades et s’évanouissent, elles se battent et se tapent dans la figure avec leur filet... A Berlin, il y a deux ou trois semaines, elles ont été devant le château en criant qu’elles voulaient manger, qu’elles voulaient revoir leurs maris. Les agens de police en ont arrêté. Elles cassent partout les carreaux. »


Berlin, 26 février.

«... Parfois, on est si désespéré qu’on se suiciderait. »


Nous pourrions citer cinquante lettres de ce goût.

Nous verrons tout à l’heure se multiplier les plaintes venues de l’intérieur : il importait d’indiquer ici qu’elles commençaient, dès l’hiver de 1915-1916, à se formuler, notamment dans les grandes villes.

Mais une situation plus angoissante se révèle sur le front, où la guerre stagnante engendre la démoralisation.

Celle-ci, en dépit d’une discipline brutale, qui, nous le verrons, arrache des plaintes, commence à se faire jour.

Je n’en veux pour preuve que la lettre du 15 mars, où un soldat, qui ne paraît nullement un lâche, écrit, de Salzwedel, que, rappelé au dépôt sans qu’il eût fait une démarche, il va repartir sur le front. « Mais je trouve cela horriblement dur cette fois-ci : j’ai eu assez d’épreuves la première fois. Nous n’avons pas dormi pendant dix jours, et pendant trois jours (à l’Hartmannsweilerkopf), nous n’avons pas eu de vivres. Nous étions les pieds dans l’eau et nous subîmes un feu d’artillerie terrible... La veille du Jour de l’An, nous avons eu, de notre compagnie seule, par le tir de notre artillerie, six tués et neuf blessés. Ils tiraient toujours trop court... »

Les plaintes contre la brutalité des chefs ont dû arriver jusqu’en Allemagne, car voici la curieuse réponse faite par une jeune femme à un soldat, caractéristique pour la double exaspération du front et de l’intérieur.


Weilburg (Prusse), 18 septembre 1915.

« Ta dernière lettre m’a naturellement très émotionnée ; Willy, mon chéri, tu es vraiment arrivé à ce point que tu songes à te suicider ?... Il est vrai que le traitement que tu