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front est à plus forte raison amené à en concevoir : « Un ordre du régiment, écrit le soldat X..., du 64e d’infanterie, permet aux soldats d’écrire deux lettres et trois cartes par semaine à leurs parens. Les lettres doivent être ouvertes. » En conséquence, un autre soldat, celui-là du front oriental, écrit de Brest-Litowsk, le 24 mars, à un camarade : « Je pourrais t’en dire beaucoup à ce sujet, mais il n’est plus permis d’écrire la vérité, car la censure est ici fort sévère. » Le lieutenant H..., du 39e réserve, écrit de son côté, le 25 avril : « Je pourrais te raconter bien des choses, mais il n’est pas permis d’écrire tout. »

De ces témoignages, que je pourrais multiplier, tout homme de bonne foi conclura que nous sommes ici très probablement en face de témoignages extrêmement modérés par la crainte ou le scrupule. Ils n’en ont que plus de force. Et quant aux cris de rancune exaspérée et de révolte violente qu’on verra parfois s’élever de ce petit recueil, songeons à ce qu’il a fallu de déceptions, d’injustices et de souffrances pour qu’ils échappent à ces Allemands, — civils ou militaires.

Il m’a paru que je pouvais à peu près diviser en cinq chapitres ces documens. Les premiers nous indiqueront assez bien pourquoi le Kronprinz a, dans sa proclamation aux troupes à la veille de l’assaut de Verdun, parlé de la « nécessité « d’attaquer.

Dans les témoignages suivans, nous verrons se formuler les grandes espérances mêlées dès le début à bien des appréhensions, puis troublées par bien des doutes. Puis, nous assisterons, comme de la coulisse, à l’effort malheureux des troupes, suivi avec plus d’anxiété que de confiance par la population. La déception se fera jour bientôt et s’accentuera jusqu’à la lettre du 19 avril où il est parlé de l’ « attitude de plus en plus indifférente de la masse vis-à-vis des événemens de guerre » et du retour exclusif « aux soucis économiques et autres. »

Par là, nous verrons de quel bluff la presse allemande essaie de couvrir la colossale désillusion d’un peuple devant des promesses enivrantes et finalement déçues.


I. — LA NÉCESSITÉ D’ATTAQUER

Le 14 février, le Kronprinz impérial adressait, aux troupes qu’il allait lancer à l’assaut, une proclamation qui débutait par ces mots :