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exploitée par le Simplicissimus pour railler les chefs d’Etat alliés conduits à l’abîme par sir Edward Grey et la Harpie de Hans Thoma, détournée de son sens primitif pour incarner le même Edward Grey. Pareillement, un tableau célèbre de Bœcklin, les Sirènes, a servi à la Muskete, de Vienne, pour symboliser la Russie, la France et l’Angleterre tâchant d’attirer les navigateurs neutres de leur côté. Bœcklin a, d’ailleurs, donné tous les modèles des Neptunes britanniques ridiculisés par l’humour allemand. Un symbole fameux de Sascha Sclineider, la Fatalité qui guette l’homme nu et désarmé, a été imité par la même Muskete pour figurer le blocus guettant John Bull sur son île et par le Kladderadatsch pour montrer Hindenburg guettant le grand-duc Nicolas. Le Punch, de Melbourne, a eu recours au groupe fameux de Frémiet, Gorille enlevant une femme, pour stigmatiser l’attitude de l’Allemagne envers la civilisation. Et, chose inattendue, les Lustige Blaetter ont réquisitionné le même gorille pour lui faire soutenir la thèse contraire : elles l’ont coiffé d’un béret écossais, par quoi elles donnent à entendre que c’est l’Angleterre, et la femme désespérée que ce monstre enlève, c’est la Grèce ! David Wilson, dans le Graphic, a repris un dessin célèbre de Joseph Sattler, la Mort des livres. Mais, à la place du squelette qui passait sur les vieux missels, avec des échasses, en y laissant ses traces, on voit le Kaiser, qui souille les précieux vélins, et sur ces vélins on lit : « Histoire de la Civilisation... La Belgique... »

Enfin, Albert Dürer lui-même a été requis d’apporter le concours de sa symbolique à l’imagination un peu courte de ses successeurs. Les Lustige Blaetter ont reproduit sa planche fameuse : Le Chevalier, la Mort et le Démon, en l’accommodant aux idées de M. Maximilien Harden. Le chevalier, c’est Bismarck, qui passe grave, impavide, tout en fer, sur ce fameux cheval, ce cheval de profil, au pas, qui est devenu, depuis Dürer, le thème où s’essaient tous les artistes allemands. La Mort est à pied ; elle a revêtu le kilt et coiffé le béret écossais : elle menace, de sa masse d’armes, le chevalier qui n’en a cure. Le Démon a, pour figurer la Russie, accentué la ressemblance qu’il avait, déjà, chez Dürer, avec un ours, mais un ours de carnaval et il lève sa griffe en vain. Une foule de bêtes rampantes, sifflantes, scorpions, serpens, araignées géantes, crapauds, — ce sont vraisemblablement les Neutres, — embarrassent