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le creux de sa main et, ce faisant, il répète exactement le geste inventé par Gillray pour son George III, considérant avec la plus extrême curiosité les rodomontades d’un minuscule Bonaparte. La seule différence est qu’il tient une loupe au lieu d’une lorgnette. L’idée de montrer les belligérans autour d’une table de jeu, qui est continuellement reprise de nos jours, date, nous l’avons vu, de 1499. Celle de symboliser les nations par des animaux : l’ours russe, l’aigle allemande, le kangourou australien, le lion britannique, le dindon turc, est vieille comme le monde, puisque les vignettes du fameux papyrus de Turin : le lion pinçant de la cithare, le marsouin soufflant dans une flûte, le crocodile portant un théorbe, l’âne jouant de la harpe, passent pour figurer l’Ethiopie, l’Egypte et d’autres pays soumis à Ramsès. Le coq figure déjà la France, vers 1707, dans une caricature où l’on voit la reine Anne qui lui rogne les ailes.

Les formules d’exécration, non plus, ne sont guère nouvelles : il en est peu d’employées contre Guillaume II qui n’aient déjà servi contre Napoléon. Les artistes ne se sont pas même mis en frais de nouveaux traits pour ridiculiser la soldatesque ennemie. Les Anglais et les Français n’ont eu qu’à feuilleter la collection du Simplicissimus pour trouver les types les plus grotesques et les plus réjouissans de « Boches, » depuis le général ventripotent et circonspect jusqu’au lymphatique étudiant fourvoyé à la caserne, et depuis le lieutenant aristocrate et penseur jusqu’à la sombre brute. Bruno Paul et Thony les avaient tous étudiés et rassemblés depuis longtemps. De même, les Allemands n’ont pas pris la peine d’inventer un type nouveau d’officier anglais : ils ont tout bonnement pris celui de Caran d’Ache et, par exemple, le général du Simplicissimus qui donne commission à la Mort d’aller visiter les cours de Sofia et d’Athènes, paru à la fin de 1915, sort tout droit du Rire, du 17 novembre 1900. Pareillement, les innombrables Sphinx, qui s’ébattent dans les feuilles de Berlin, sont la lignée d’une figure de Caran d’Ache, parue dans le Figaro du 12 février 1900 et intitulée : le Sphinx bouge. C’est en temps de guerre, surtout, qu’on prend son bien où on le trouve.

Ce goût du pastiche a conduit les artistes à user d’un procédé comique, déjà connu, mais peu employé jusqu’ici : l’adaptation de quelque œuvre d’art célèbre à des idées nouvelles. Nous avons vu la Parabole des aveugles, de Breughel,