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Erzeroum est en effet une très ancienne ville. Elle est au carrefour des routes les plus directes qui relient la Mésopotamie à la Mer-Noire et le Caucase à l’Asie-Mineure. Son nom, Erzen-er-roum, veut dire : terre des Romains. Capitale de l’ancien royaume arménien, elle fut occupée par les Romains, puis par les Byzantins, et elle tomba avec l’Empire grec sous la domination turque.

La population, fort mélangée d’Arméniens, de Persans et de Juifs, ne dépasse guère 50 000 habitans. Ses ouvriers forgerons sur cuivre et sur bronze sont connus en Orient, ainsi que ses tanneurs et ses fabricans de babouches.

Le climat est rude, mais salubre, par suite de l’altitude : l’hiver est très rigoureux, et l’été modéré.

Sa situation stratégique en a fait une place forte. D’abord entourée de remparts, la citadelle, dominée par les hauteurs voisines, était incapable de soutenir une attaque par le canon. Les Turcs, sous la direction des Allemands, en avaient fait un camp retranché d’une forme particulière. En effet, toute l’organisation défensive est tournée vers l’Est et barre les routes du Caucase, en particulier la route de Kars. La chaîne Devé-Boïnou au Nord-Est, la chaîne Palanteken au Sud, étaient tenues et reliées par des forts à la moderne bien armés. A 20 kilomètres au Nord, deux forts gardaient la route d’Olty. Plusieurs petits forts défendaient les abords immédiats de la place.

Erzeroum, ainsi protégé, était devenu le grand centre des approvisionnemens et des réserves de l’armée turque d’Arménie. La valeur de ses fortifications, la puissance des canons Krupp, le matériel, tout à fait excellent, qui y était concentré, la force numérique de sa garnison, et la présence même de la troisième armée turque, semblaient rendre invraisemblable une chute rapide de la place. Cette guerre nous a donné bien des surprises ; nous avons vu des camps retranches réputés tomber, comme les murailles de Jéricho, sous l’écrasement des obus de 305 et de 420. Sauf celui de Przemysl, les sièges ont duré à peine quelques semaines. L’enlèvement d’Erzeroum, en cinq jours, en plein hiver, est, croyons-nous, sans exemple dans l’histoire des guerres, d’autant qu’il a coïncidé avec la défaite et la déroute d’une armée qui aurait pu s’y accrocher et prolonger la résistance.

On ne saurait trop admirer avec quel art et quel mystère