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Un troisième point, sur lequel il semble bien que tous les humoristes soient d’accord, c’est l’énorme fardeau financier de la guerre. « Tout cela finira par deux emprunts ! » disait déjà M. Forain, lors de la première guerre gréco-turque, en figurant des veuves désolées sur des ruines. Par combien d’emprunts l’actuelle tragédie va-t-elle finir ? Par une telle quantité, estime la San Francisco Chronicle que l’Europe entière est submergée et se noie. Quelle sera « la place de la nation allemande au soleil ? » se demande la Kansas City Post. Et elle répond en montrant le Michel allemand suant à grosses gouttes sous le fardeau énorme de la Dette de guerre, intérêts et pensions, un sac si gros qu’il le couvre entièrement de son ombre. Le même Michel se serre furieusement le ventre, d’après Braakensiek, dans l’Amsterdammer, à mesure que les impôts vont croissant. « La Paix, vite, ou nous sommes ruinés ! » crie, par la fenêtre, le banquier allemand, dans le Star, de Montréal. Et l’Inquirer de Philadelphie prévoit comment finira le globe terrestre : il le représente envahi, peu à peu, par une calotte de glace, qui détruit toute vie sur la surface, et cette glace s’appelle : la Dette de guerre. Cette universelle ruine des pays combattans profitera-t-elle du moins aux neutres ? Ce n’est pas l’avis du Social Democrat de Copenhague. Il figure, en effet, la Suède sous les traits d’un homme qui n’a plus que la peau sur les os, assis sur son rivage et mourant de faim. A la vérité, il est entouré de richesses, de sacs et de lingots d’or ; mais ce nouveau Midas meurt de faim, tout de même, s’usant les dents à cette indigeste nourriture. La morale de cette caricature est que gagner de l’or, ce n’est pas produire des alimens, ni des objets utiles à la vie, et que ces objets qui n’auront pas été produits, pendant des années, par les millions de bras occupés à tuer ou à fabriquer des obus, manqueront à tout le monde. Ainsi, l’image, en tout pays, mais surtout chez les Neutres, s’accorde à déplorer les suites de la guerre, comme elle déplore son principe et ses moyens.

Cette communauté qu’on observe dans les sentimens, vrais ou feints des divers peuples, se retrouve dans les moyens employés par leurs artistes pour les exprimer. Et, d’abord, ces moyens sont exactement les mêmes qu’autrefois. Il serait intéressant de noter les formes et les idées nouvelles que la nouveauté prodigieuse des événemens apporta jusqu’ici dans les arts du dessin et notamment dans la caricature. Et nous les