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« Cesse de m’appeler « Dieu ! » J’ai ce mot en horreur... » Ainsi, lorsqu’il feuillette les images satiriques des Américains, le lecteur allemand n’a aucune chance d’y éprouver un vif plaisir.

Les espagnoles sont un peu plus capables de le dérider. Le Blanco y Negro, de Madrid, s’y essaie de son mieux. Il figure deux requins, au fond de la mer, parmi des débris de navires et des cadavres de noyés, et l’un dit à l’autre : « Frère Requin, voilà notre subsistance assurée pour nous et pour nos enfans, tant que la guerre durera, — et cela peut durer cent ans ! » Il y a là de quoi, peut-être, faire rire quelqu’un à Brème ou à Hambourg. Une autre planche du même journal montre un général anglais et un français juchés sur deux pitons des Balkans et regardant, de tous leurs yeux, dans leurs lorgnettes. « Voyez-vous quelques Italiens dans cette direction ? » demande l’un. — « Pas un seul. Et vous, » dit l’autre, qui interroge à son tour : « Apercevez-vous quelques Russes ? » — « Aucun ! » — L’attitude expectante de la Roumanie est caractérisée, dans le Gedeon, de Madrid, par une ingénieuse image, qui n’est pas, non plus, pour trop déplaire à l’Allemand : c’est un obus à demi enfoncé dans la terre meuble, en vue de Salonique, aux yeux inquiets des Alliés et qui n’a pas encore explosé, — mais l’on ne sait de quel côté il lancera sa mitraille... Le lecteur allemand se rembrunit, au contraire, devant les images de l’lberia et de la Campana de Gracia, de Barcelone. Dans la première, il voit une foule menaçante, parce qu’affamée, sous les fenêtres du palais impérial, à Berlin, et elle crie : « Nous avons faim et il n’y a pas de pain ! » et le Kaiser, à son balcon, répond : « Eh bien ! quoi ? Moi aussi, j’ai faim, puisque je ne puis dévorer l’Angleterre. » Dans la seconde, il voit son Kaiser offrir galamment son bras à la Paix, avec cette demande : « Me ferez-vous le plaisir de venir avec moi ? — Merci, répond la Paix. Quand vous vous serez lavé les mains, » qui sont sanglantes. Dans la troisième, enfin, il voit son Kaiser en train de choisir son rôti de Noël. C’est l’oiseau de la Paix qu’il désigne en disant : « Si je ne peux avoir une bonne dinde, je me contenterais de cette colombe. » — « Oh ! si je pouvais seulement quitter la partie ! » murmure le même Kaiser, dans l’Evening Sun, devant les piles d’écus qu’il a gagnés aux Alliés, assis à la même table de jeu. C’est l’idée et quasi le dessin du Nebelspalter. Par où l’on voit que, dans la pensée des Neutres,