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cherchant à l’éteindre, l’Allemagne l’attisant, puis les populations quittant les villes incendiées, les épaves de la Lusitania, et rayonnant, dans une apothéose, un crâne : la Mort triomphante. A son tour, Braakensiek, adaptant un tableau de Henneberg, a montré la Course impériale au Bonheur : le Kaiser, suivi par la Mort, galope à la suite de la Fortune, par-dessus le cadavre de la Paix ; il va, il va, forçant le galop infernal, car il a vu briller, dans la main de l’Inconstante, la couronne mondiale, et il ne voit pas qu’elle a dépassé le pont étroit où il la poursuivait, qu’elle file maintenant au-dessus d’un abime et que, sur cet abîme, est écrit : Révolution...Une autre fois, — et c’est un de ses derniers dessins, — il figure une femme, coiffée du bonnet phrygien, debout au bord d’un précipice, luttant contre un aigle gigantesque et furieux qui l’assaille, et lui arrachant des plumes qui tombent dans l’abîme. « Qui oserait maintenant parler de la décadence de la France ? » dit la légende, sous ce titre : La lutte pour Verdun.

Braakensiek ne plane pas toujours à ces hauteurs allégoriques. Il a de l’ironie, parfois à l’adresse des Alliés : ainsi lorsqu’il représente une conférence entre trois gardiens de l’ordre ; un policeman, un sergent de ville et un carabinier, en face des cadavres qui jonchent la rue : le serbe, le belge, le monténégrin. Un gamin, dissimulé derrière un pilier, leur crie : « Dites donc, les protecteurs, si vous voulez réellement protéger ces petits camarades, il ne faut pas toujours arriver trop tard. En voilà encore un par terre !... » C’est un des plus récens dessins du maître. Enfin, Joan Collette a nettement pris parti contre l’Allemagne. Il montre, toujours dans l’Amsterdammer, des soldats du kaiser qui ont capturé une petite fille, aux longues tresses, haute comme leurs bottes et l’interrogent : « Elle a tiré !... » disent-ils et cela s’appelle le Crime de la population civile. La Hollande a vu juste, à travers ses fils barbelés.

La Suisse, je veux dire la caricature suisse, a-t-elle pris un parti aussi net contre l’Impérialisme ? Cela n’est pas évident, à ne considérer que les dessins du Nebelspalter, de Zurich, son principal journal satirique. Au début de la guerre, on a pu les confondre parfois avec les dessins allemands. Par exemple, ils raillaient, de la même manière, l’Anglais, de faire appel à des peuples de toutes les couleurs pour « établir fermement la supériorité de la culture européenne » et les singes y jouaient